Migaud : « Je peux être utile au compromis »
Ses camarades socialistes lui reprochent de servir de caution à Barnier. Cela ne l’émeut guère. Dans son grand bureau de la Chancellerie, il s’explique.
L’un est de gauche, l’autre de droite, mais Michel Barnier et Didier Migaud, les deux doyens du gouvernement partagent le goût des défis improbables. Qu’est-il allé faire dans cette galère ? Après une belle carrière comme élu du PS puis comme président d’institutions de la République (Cour des Comptes et Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), Didier Migaud, 72 ans et le cœur toujours à gauche, a accepté de participer au gouvernement de Michel Barnier comme Garde des Sceaux, premier des ministres dans l’ordre protocolaire. Collaboration avec l’ennemi ? « Il n’y a pas de majorité, rétorque-t-il, aucune dissolution n’est possible avant un an, il faut bien que la France soit gouvernée et qu’une équipe accepte de se retrousser les manches. Je pense que je peux être utile à la recherche de compromis. Et rien ne me choque dans la feuille de route. J’ai même lu le discours de politique générale au Sénat ! »
Il connaît bien l’hôte de Matignon. Ils partagent de nombreux points communs. Les deux hommes, qui se tutoient, ont été députés en même temps, il y a longtemps… Élus de départements alpins voisins, ils partagent la ténacité prudente du montagnard. Mais aussi le goût des missions difficiles, négocier le Brexit comme rechercher l’efficience budgétaire. Si l’un a trois fils et l’autre trois filles, ils ne sont pas du genre à étaler leur vie privée. Et ils ne fabriquent pas de punch line à la chaîne. Pas dans leurs principes…
Dès l’appel de Michel Barnier pour lui proposer un poste, Migaud a posé ses conditions : les décisions devaient être collectives, différentes sensibilités représentées et les crédits de la lettre plafond du budget de la Justice… revus à la hausse. Le Premier ministre lui avait proposé de choisir Bercy ou la Chancellerie, il a préféré la seconde, le secteur de la finance n’ayant plus pour lui le charme de la découverte. Mais il considérait sa nouvelle tâche impossible avec la coupe prévue par le précédent gouvernement. Barnier s’est engagé à y remédier. « Je lui fais confiance », affirme cet homme qui connaît son monde et les arcanes du pouvoir.
Rien ne l’irrite plus qu’on le ravale au rang de simple technicien : « J’ai été 22 ans maire et député, j’ai présidé la Commission des Finances, j’ai créé la LOLF (loi organique qui instaure un nouveau mode de gestion de la performance budgétaire), j’ai dirigé la Cour des Comptes, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique : je n’ai pas de leçon d’expérience politique à recevoir ! ». Que ses anciens amis du PS lui reprochent d’être la « caution » de Barnier, il peut le comprendre, même si beaucoup lui ont glissé dans l’oreille : « Cela nous rassure quand même que tu sois là ». Mais le coup du mépris, non. S’il n’a pas été ministre plus tôt, c’est parce qu’il avait refusé : « François Hollande m’avait proposé Bercy, en disant que j’étais une « marque ». J’ai préféré rester à la Cour des Comptes parce ce que je voulais maîtriser la dépense publique et que je n’aurais pas eu les marges de manoeuvre nécessaires ».
Pense-t-il les avoir cette fois-ci ? Côté Justice, peut-être, mais côté Intérieur, ne sera-t-il pas gêné par la place et les projets de son collègue Bruno Retailleau ? « Il est dans son rôle, nous avons de bonnes relations humaines, et pour ce qui est des textes, attendons les arbitrages. Inutile de se battre contre ce qui n’existe pas ». Plus politique qu’il n’en a l’air, Migaud sait que Barnier devra mettre de l’eau dans le vin de Retailleau : « Il y a le bloc central dont il faut tenir compte ». Et qu’on ne vienne pas lui faire la morale en lui reprochant d’être l’otage du Rassemblement national : « Si la gauche ne s’associe pas à une motion de censure, les extrêmes ne peuvent pas faire tomber le gouvernement ». Pourrait-elle joindre ses voix à celles de l’extrême-droite ? Impensable, juge Migaud, renvoyant la balle dans le camp de ses anciens amis. Cet ancien joueur de rugby (il a été trois-quarts centre de l’équipe du 15 parlementaires) n’a pas oublié l’art de pratiquer le contre.