Migrants: l’île de Lampedusa sombre

par Marcelle Padovani |  publié le 16/09/2023

7000 migrants ont débarqué en quelques jours par bateau à Lampedusa. L’île est asphyxiée, le gouvernement impuissant, l’Europe embarrassée, l’extrême-droite, gagnante, vocifère. De notre correspondante à Rome 

Arrivée migrants à Lampedusa- Photo Alberto PIZZOLI / AFP

Oui, le quotidien italien Il Foglio a raison de titrer dès hier : « La pacchia è finita », la fête est finie. Pour les migrants d’abord. Lampedusa est là pour en témoigner. Cette île, Sicilienne devenue mythique, est, rappelons-le, large de 20 km2 et peuplée de 7 000 habitants se trouve à la pointe de l’Italie, à deux cents kilomètres au sud de la Sicile, mais à deux pas, cent cinquante kilomètres à peine, des côtes tunisiennes.

Porte d’entrée d’immigration vers l’Italie continentale, elle apparaissait jusqu’ici comme un début d’exil doré peuplé de locaux ouverts et généreux. Les 130 000 immigrés qui y ont débarqué depuis janvier 2023, ont toujours été secourus, désaltérés, nourris, hébergés, soignés, puis dirigés vers les centres d’accueil de différents ports péninsulaires. Avant de tenter d’arriver en Europe du Nord, but ultime de leur épopée.

Depuis trois jours, ce n’est plus possible.

L’afflux des migrants est tel – en moyenne 5 à 6 000 par jour, pour un centre d’accueil prévu pour 600 personnes – que les migrants, assoiffés, affamés, morts de fatigue, ont dû envahir le reste de l’île. C’est-à-dire sa fraction touristique, avec ses baies, ses plages de sable blanc, ses célèbres tortues marines, sa mer d’un bleu profond épargnée par la pollution, en somme cette île rêvée par les vacanciers étrangers. Et qui ignorait littéralement le problème migratoire.

Les migrants sont arrivés, assoiffés, affamés, les deux mondes se sont mélangés. La vie de Lampedusa a changé. L’île n’est plus le rêve des exilés, elle ne pourra plus être le paradis des touristes continentaux. 

« La pacchia » est finie également pour Giorgia Meloni, la Première ministre italienne, qui défend ardemment une ligne d’attaque antiimmigrée sur le thème : « C’est au départ qu’il faut bloquer le phénomène ». Elle a singé moult protocoles et lettres d’engagement avec les autorités locales libyennes ou tunisiennes, sans rien obtenir ou presque, de concret, de ses interlocuteurs.

Face à l’invasion de Lampedusa, il est donc clair qu’elle ne pourra continuer à tabler sur les gouvernements de l’Afrique Sub-Saharienne. Et qu’elle devra au contraire donner des gages à la propagande souverainiste et antiimmigrée de son allié au gouvernement et principal rival, Matteo Salvini, patron de la Ligue. Lui milite sans complexe pour un gouvernement nationaliste aux tonalités suffisamment racistes et préconise le rapatriement forcé des migrants. 

« La pacchia » est finie, enfin, pour l’Europe, troisième victime de ce ras de marée humain. En cette fin d’année 2023, on note une érosion claire et continue de la sensibilité pro-européenne dans tout le continent. Et d’une poussée des exigences nationalistes. La future commission dérive vers la droite.  Loin des « populaires » et des socialistes qui ont géré Bruxelles ces dernières années. Loin, donc, d’Ursula Von Der Layen.

Témoin, la décision, française et allemande, face à l « invasion » de migrants en provenance d’Italie, de repousser   à la frontière –  Vintimille, le Brenner – les migrants arrivés au cours de l’année sur leur territoire. Motif : ils n’ont pas été dûment enregistrés à leur arrivée à Lampedusa, donc ils ne respectent donc pas le traité de Dublin. Dehors.

Une chose est sûre : ni les migrants, ni Meloni, ni l’Europe ne vont sortir gagnants de l’après-Lampedusa .

Un seul vainqueur : l’extrême-droite, nationaliste et raciste.

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome