Millerand, le président que la gauche a obligé à démissionner

par Pierre Feydel |  publié le 12/07/2024

En 1924, la nouvelle majorité présidentielle ne veut pas former de gouvernement tant que le chef de l’Etat ne s’est pas retiré. Acculé, il devra céder.

Alexandre Millerand Selva / Leemage via AFP

En 1920, Alexandre Millerand est élu pour sept ans Président de la République à une majorité écrasante par les parlementaires. Il a déjà une longue carrière politique derrière lui. Un de ses proches, René Viviani, fondateur de L’Humanité avec Jaurès, plusieurs fois ministre et chef du gouvernement en 1914, disait de lui qu’il avait mené sa carrière « comme un boulet de canon ». C’est un de ces nombreux avocats qui peuplent les bancs du Parlement sous la IIIe république.  Il est le premier socialiste à occuper un poste ministériel en 1914, lorsqu’il est nommé ministre de la Guerre. Commissaire du gouvernement en Alsace-Lorraine reconquise après la victoire, ministre des Affaires étrangères, puis président du Conseil, il a doucement dérivé à droite, s’oppose au communisme naissant, reste ferme face aux grèves tout en faisant voter des mesures sociales.

Le voilà centriste, favorable à un renforcement de ses pouvoirs de Président de la République par une révision constitutionnelle. En 1924, une coalition électorale constituée dans une cinquantaine de départements rassemble les radicaux indépendants, le Parti radical et radical-socialiste, le Parti républicain socialiste, des socialistes indépendants et la SFIO. Les radicaux, Édouard Herriot en tête, mènent le jeu. L’objectif : battre le Bloc national, la droite. Par 286 élus contre 233, c’est chose faite. Les premiers députés communistes élus siègent dans l’opposition. Les socialistes ne participent PAS au gouvernement, mais le soutiendront . D’entrée, les vainqueurs réclament la démission du Président de la République. 

Situation bloquée

Alexandre Millerand n’aurait pas tenu son rôle d’arbitre, n’aurait pas fait preuve d’une totale neutralité lors des législatives et aurait ostensiblement pris parti en faveur du Bloc national. À Évreux, lors de la campagne électorale en octobre 1923, le président aurait non seulement montré sa préférence partisane, mais plaidé pour un renforcement de son pouvoir. Les vainqueurs ne formeront donc pas de gouvernement tant qu’il est à l’Élysée. Et ils entendent faire tomber immédiatement tous ceux que le président aurait l’outrecuidance de vouloir proposer. Situation bloquée. Une partie de la presse a demandé la démission du président : L’Œuvre, L’Humanité et Le Quotidien. Ce dernier, très proche du Cartel, est un des plus virulents.

Millerand et Herriot discutent. Herriot refuse finalement de former le futur gouvernement. Le président tente alors de convaincre Theodore Steeg, sénateur radical, Georges Bonnefous, membre du Front républicain. Ils refusent aussi. Et la chambre, elle, refuse d’entrer en contact avec des gouvernements constitués à l’instigation de Millerand. Le 8 juin, il nomme quand même Frédéric-François Marsal chef du gouvernement, encore un membre du Front républicain. Lequel démissionne le 10 et détient, du coup, le record du gouvernement le plus court de l’histoire de la République. Le locataire de l’Élysée a bien envisagé en dernier recours la dissolution. Mais les sénateurs refusent de le soutenir. Le 11, Alexandre Millerand, acculé, démissionne à son tour.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire