Mohed Altrad, voyage d’un businessman en Ovalie

par Hervé Marchal |  publié le 13/09/2023

Comment un petit immigré syrien est devenu le président flamboyant d’un grand club de rugby, industriel à succès et 22e fortune de France

Mohed ALTRAD lors de la victoire de Montpellier au Top 14 le 24 juin 2022 au Stade de France - Photo Matthieu Mirville / DPPI

Ce 24 juin 2022 au stade de France, le Montpellier Hérault Rugby (MHR) venait de remporter son premier titre de champion de France de Top 14. Une consécration pour son président, Mohed Altrad, qui touche ce soir-là au sommet de sa vie d’homme, de businessman et de citoyen.

Quel symbole ! Et quel chemin parcouru entre une enfance syrienne rude, âpre, terrible, jusqu’à ce véritable triomphe romain devant 70 000 spectateurs d’un sport… aussi peu oriental. Un scénario hollywoodien, pour lui, lui l’enfant du désert, venu d’une autre galaxie, gamin rejetépar sa famille mais élève déterminé, étudiant diplômé de l’université et jeune entrepreneur. Forgé à la dure, à la très dure école de la vie.  

Aujourd’hui, le voilà à la tête d’une myriade de sociétés installées sur tous les continents, spécialisées dans le BTP, les services aux entreprises, notamment pour l’industrie pétrolière et le nucléaire. 60 000 salariés, près de 4 milliards de chiffre d’affaires et une trésorerie d’un milliard et demi d’euros. Un leader mondial dans son domaine, capable de reprendre le contrôle à 100 % du capital de son groupe.

Le magazine Challenges le classe 22e fortune de France, au même niveau que la famille Peugeot, mais devant Marc Ladreit de Lacharrière, la famille Decaux, Guerlain ou Bouygues. ..Beau tableau ! Pas mal du tout pour un groupe né en 1985 emmené par un patron totalement inconnu des dynasties entrepreneuriales.

En juin 2015, il est le premier Français à recevoir le prix d’entrepreneur mondial de l’année. François Hollande le reçoit à l’Élysée et Obama à la Maison-Blanche pour qu’il intervienne lors du 6e sommet international des chefs d’entreprises. Une ascension qui donne le tournis et qui va encore s’accélérer. En mai 2011, le voilà qui se découvre une passion pour le rugby. Le MHR, club de Montpellier, en difficulté financière a besoin de se restructurer? Il en prend le contrôle pour 2,4 millions d’euros.

Cinq ans plus tard, le MHR peut brandir avec fierté son premier trophée : le Challenge Européen. En 2021, Bis repetita. Il récolte le célèbre Bouclier de Brennus, un Graal pour toute l’ovalie tricolore, en 2022.

Au fur et à mesure de ses aventures sportives, Mohed Altrad mesure l’importance prise par le rugby, en pleine croissance, comme vecteur de notoriété et d’image positive. Le groupe Altrad devient ainsi la première entreprise privée à s’afficher sur le maillot de l’équipe de France. Coût : 7 millions d’euros, par an, pendant cinq ans.

Nouvelle accélération. Au début des années 2020, la Fédération néo-zélandaise connaît elle aussi des difficultés financières. Altrad intervient aussitôt et signe pour six ans comme sponsor maillot des… mythiques All Blacks. World Rugby, la FIFA du Rugby l’adoube comme la troisième personne la plus influente du rugby mondial.

Rien ne semble pouvoir arrêter cette épopée. Sauf que la boulimie de pouvoir du surdoué va lui faire faire deux embardées. L’une notable, mais sans grande conséquence. L’autre beaucoup plus délicate.

D’abord, Altrad se présente aux élections municipales de Montpellier en 2020. Avec un programme bancal, m al préparé, mal conseillé, absent du terrain, il n’obtient que 13 % des voix. Pour le second tour, il ose une alliance avec un humoriste local, une écologiste et une liste proche des Insoumis ! Le coup de théâtre est un coup d’épée dans l’eau.

Sur le papier, face au socialiste Michael Delafosse, il rassemble près de 40 % des voix du premier tour. Sur le papier seulement. Il ne sera élu que membre de l’opposition. Fin du vaudeville électoral.

La seconde embardée, elle, est plus délicate. Le chemin de Mohed Altrad, finit hélas, par croiser celui de Bernard Laporte, devenu en 2016 président de la Fédération française de rugby. Comment un chef d’entreprise aussi avisé que Mohed Altrad a-t-il la mauvaise idée de faire affaire avec Bernard Laporte ?

Il est vrai qu’en 2003, le truculent personnage avait déjà réussi à embarquer Gérard Depardieu dans une étrange affaire du club de rugby de Bègles aux côtés du sulfureux Rafik Khalifa, propriétaire de Khalifa Airways, et d’un respectable vigneron bordelais… qui, au final, se retrouva fort démuni. 

L’affaire se poursuit au tribunal, en décembre 2022. Bernard Laporte, est condamné en première instance à deux ans de prison avec sursis, 75 000 € d’amende et doit quitter la présidence de la FFR. Mohed Altrad, lui, est condamné à 18 mois de prison avec sursis et 50 000 € d’amende pour avoir, selon le tribunal, « rémunéré Bernard Laporte afin d’obtenir ses faveurs ». Tous deux ont fait appel.

Quant à la Fédération, désormais présidée par Florian Grill, elle vient de reconduire Altrad comme sponsor jusqu’en 2028 avec, selon Le Figaro, une augmentation du tarif de 25 %. Si ce n’est plus l’Everest, on est loin de la roche Tarpéienne.

A l’évidence, L’histoire d’amour d’Altrad avec le rugby est loin d’être terminée.

Hervé Marchal

Correspondant à Montpellier