Moi, Pierre Delon, viticulteur

par Hervé Marchal |  publié le 27/01/2024

Digne, discret, sincère, mais excédé. Travailler comme un forçat et gagner moins du SMIC. Et lutter pour sa survie. Le viticulteur ne peut plus. Il ira manifester. Reportage

Pierre Delon - Photo Hervé Marchal- LeJournal.info

C’est une belle journée à Nissan-lez-Ensérune, village de 4 000 habitants à 15 km au sud-ouest de Béziers. Au milieu de ses vignes Pierre Delon, 34 ans, 7e génération de la famille, s’active. Comme chaque année à cette époque, il taille les sarments nus des ceps. La crise ? Bien sûr qu’il la subit. Il pose ses gants et lance « vous savez, je ne suis pas le plus à plaindre ! » Il a ce côté authentique du paysan qui refuse de s’apitoyer sur son sort. Et pourtant, il gagne autour de 900 € par mois, nettement moins que le SMIC.

Tôt levé, tard couché, il n’a de cesse de prendre soin de son exploitation. Ce sont 20 ha qu’il s’emploie méthodiquement à restructurer pour produire des vins de cépage : chardonnay, sauvignon, merlot, cabernet. Une moyenne de 1500 hectolitres par an qu‘il confie à la cave coopérative de Coursan, dans le département de l’Aude tout proche.

Il ne prend pas de vacances, travaille tous les dimanches, s’accorde au mieux deux escapades dans l’année, pour assister à deux matches de rugby du tournoi des six nations au stade de France. C’est tout. Il n’en dira pas plus sur ses difficultés à boucler les fins de mois. Même s’il concède qu’il ne va plus au restaurant. 900 € par mois…

Mais, alors, comment faire vivre cette propriété familiale, s’équiper en matériel moderne et indispensable ? La réponse : la solidarité du monde agricole. On achète à plusieurs une machine à vendanger, elle sert à tous et on l’amortit à plusieurs. D’autres sont contraints d’avoir deux activités. La culture de la vigne et un temps partiel de petit salarié. Une sorte de « en même temps » têtu et âpre. Si loin des grandes déclarations d’estrade.

Partout dans le monde rural, il y a, ainsi, une volonté, un esprit de cohésion au niveau de chaque village pour ne rien lâcher, ne pas laisser dépérir le territoire. Et tout un écosystème de survie des populations, de leurs savoir-faire, de leur patrimoine. La trame historique du pays.  

Pierre Delon en est conscient, bien sûr. Il tient passionnément à cette propriété familiale et n’envisage pas de devoir quitter cette terre et ces vignes qui sont sa raison de vivre. Mais il est inquiet. « Pour nous viticulteurs, le grand problème c’est l’eau. Dans dix ans, si rien n’est fait, tout sera mort. Non loin d’ici, dans les Corbières, cette question est déjà existentielle. Tout est sec. On arrache beaucoup de vignes dans nos départements du Languedoc. » Une solution : « il nous faut absolument des retenues d’eau collinaires. Notre survie en dépend. Et puis trop de taxes, de normes et de paperasse ! »

Manifester ? Cette trop vieille habitude des vignerons du Midi ? Oui : « on a alerté l’État il y a déjà près de deux mois. Et on n’a toujours rien vu ». Cette fois, dans le Midi comme ailleurs, le gouvernement est dos au mur.

Hervé Marchal

Correspondant à Montpellier