Moscou : deux cibles pour un attentat ?

par Emmanuel Tugny |  publié le 25/03/2024

L’État islamique du Khorassan tadjik (EIK) revendique l’attentat qui a fait 137 morts vendredi soir, la Russie pourrait payer son alliance avec l’Iran mais Moscou préfère désigner… l’Ukraine

Un homme soupçonné d'avoir participé à l'attaque d'une salle de concert qui a fait 137 morts, l'attentat le plus meurtrier en Europe à avoir été revendiqué par le groupe djihadiste État islamique au tribunal du district de Basmanny à Moscou, le 24 mars 2024- Photo Olga MALTSEVA / AFP

L’attentat sanglant du Crocus city hall de Krasnogorsk, propriété du milliardaire azéri-russe et juif pratiquant revendiqué Aras Agalarov, ami de Trump et de Poutine et go-between entre les deux leaders, rappelle à l’évidence nombre d’attentats dits « tchétchènes » : ceux de 1999, l’assaut du théâtre Dubrobka en 2002, du métro de Moscou en 2010, et la prise d’otages du collège de Beslan qui avait fait en 2004 330 victimes, dont plus de 180 enfants.

Ces attaques sanglantes avaient suscité un effroi dont l’effet fut l’imposition définitive de Vladimir Poutine, alors méconnu,  à la tête de la Russie. L’attaque de vendredi illustre le mode opératoire d’un terrorisme caucasien sunnite vigoureusement soutenu par un Afghanistan et un Pakistan américanophile également soucieux de voir l’influence de l’Iran aussi contenue que possible.

C’est d’ailleurs l’EIK qui avait frappé le régime iranien à Kerman à l’occasion des commémorations de la mort de son héros Ghassem Soleimani, à l’instar du Pakistan qui a eu plusieurs accrochages militaires avec Téhéran en janvier dernier.

L’EIK, dont les services n’ignorent pas qu’il menace aussi la France, a revendiqué l’attentat de Krasnogorsk. Il s’agit explicitement pour lui de châtier la Russie amie de l’Iran et bourreau du Sunnisme, notamment en Syrie, en Irak ou au Sahel, en lui imposant, en pleine « guerre » – le mot jusqu’ici tabou a été employé pour la première fois par Dimitri Peskov vendredi – un « second front » intérieur. De ce point de vue, il est indéniable qu’il a réussi et répondu aux vœux d’une coalition tacite visant à la fois Moscou et Téhéran, au moment où l’agression de l’Ukraine place le territoire russe dans un état d’extrême vulnérabilité.

L’oblast de Briansk près des frontières de l’Ukraine et de Biélorussie

Quant à la fuite vers l’oblast de Briansk, à égale distance des frontières de la Biélorussie et de l’Ukraine, des terroristes tadjiks dont, à force de tortures infamantes – tabassage, amputation d’une oreille, interrogatoire à l’électricité – Moscou finira bien par faire des « Ukrainiens » bon teint si toutefois c’est bien eux qu’il a capturés, elle ne surprend pas. Il est au fond dans l’ordre que les Caucasiens aient vu en l’Ukraine un point de chute peu enclin à les livrer à Poutine.

Que Moscou tente aux forceps d’utiliser (comme d’autres l’incendie du Reichstag) le massacre du Crocus city Hall pour justifier une nouvelle fuite en avant et la montée en intensité de ses bombardements sur l’Ukraine, y compris en violant l’espace aérien polonais, ne surprend pas non plus. La Russie de Vladimir le Petit ne peut plus guère montrer ses muscles que depuis le Donbass ukrainien occupé. Elle ne le peut plus ni à Moscou, ni a fortiori au cœur de la Fédération Russe.

En somme, l’attentat d’hier a dans le même temps souligné l’extrême fragilité du régime russe et la redoutable dangerosité des alliances qu’il se voit contraint de passer pour ne pas perdre une guerre à laquelle il doit sa subsistance.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie