Moscou : la deuxième mort de Prigojine
Evgueni Prigojine, chef des milices Wagner, est mort, près de Moscou, dans un « accident » d’avion. La fin d’une histoire qui a commencé plusieurs mois auparavant… en Ukraine. »
Prigojine est mort une première fois en Ukraine à la fin de la bataille de Bakhmout. Et une deuxième fois ce 23 aout entre Moscou et Saint-Pétersbourg comme l’annoncent les médias russes, une information confirmée officiellement par les autorités et des images vidéos. On y voit un avion privé, un solide Embraer Legacy, piquer vers le sol avant d’exploser. À l’évidence, il ne peut s’agir d’une simple panne. Disparitio soudaine de l’écran radar, pas d’appel radio de détresse, pas de tentative de redresser l’appareil qui chute en ayant perdu une aile, tous les instruments hors de contrôle… un « accident » qui ressemble à un avion abattu.
En réalité, le sort du chef de Wagner a été scellé après la prise de la ville de Bakhmout par sa milice qui a compté jusqu’à 50 000 hommes dont 20 000 sont tombés dans le « hachoir de Bakhmout ». Une « belle victoire », après six mois de lutte féroce, que Prigojine a immortalisée par une vidéo bien sûr. Sauf que… l’état-major de l’armée russe, irrité au plus haut niveau par les rodomontades et les violentes attaques du chef des mercenaires, a décidé de lui couper les ailes.
Deux mesures sont prises. Un: plus d’autorisation pour Wagner de recruter sa chair à canon dans les prisons russes. Deux : tous les mercenaires devront être intégrés comme soldats dans l’armée officielle. Pour Prigojine, c’est la fin, il le sait et met en scène sa sortie par un coup d’éclat – sa marche vers Moscou – aux allures de putsch. Il soumet la garnison de Rostov, se fait applaudir ici ou là, fait abattre des hélicoptères de l’armée qui s’approchent, frôle la capitale, n’y entre pas, fait demi-tour.
Il a pourtant franchi la ligne rouge : Poutine parle d’un « coup de poignard dans le dos »
Le président biélorusse, prêt à accueillir ses mercenaires, se vante d’avoir dissuadé Poutine de mettre le rebelle à mort. Lui-même compte d’ailleurs utiliser les officiers mercenaires rompus aux combats en Ukraine pour former ses propres troupes, histoire de titiller les frontières de la Pologne à l’ouest et de menacer, si Moscou l’exige, d’une ouverture d’un nouveau front au nord de Kiev. Tout aurait pu s’arrêter là ? Certes, non.
On ne défie pas Poutine de cette façon. On ne met pas à jour sa vulnérabilité. On ne ridiculise pas l’homme de fer du Kremlin. Prigojine, tout à ses envolées, ne le sait pas, mais il est déjà un homme mort.
Pas tout de suite, bien sûr. Poutine et Prigojine ont d’énormes intérêts d’affaires en commun en Afrique. Wagner en est le bras armé. Poutine a pris sans doute le temps de reprendre les affaires africaines en main. C’est d’ailleurs sur fond de paysage d’Afrique, un désert, que le chef de Wagner a fait une dernière prestation vidéo, armes à la main, appelant à une mobilisation pour le rejoindre et défendre « la liberté ». Poutine ne lui en a pas laissé le temps de reconstituer une armée, en Afrique ou ailleurs.
Et puis, au retour d’Afrique, survient ce malencontreux accident de transport aérien… L’appareil qui se dirigeait vers Saint-Pétersbourg n’est passé qu’à une cinquantaine de kilomètres de la résidence moscovite de Vladimir Poutine, défendue par deux puissants systèmes antiaériens. Selon un média proche de Wagner, Gray Zone, on a d’abord entendu deux explosions, façon départ de missiles, puis l’appareil a piqué droit vers le sol avec ses dix passagers, dont Dmitri Outkine, le bras droit de Prigojine et fondateur de Wagner.
Pourquoi maintenant ? L’ Afrique est sous contrôle du Kremlin et l’armée russe devenue pro et efficace, elle l’a prouvé cet été, n’a plus besoin des sbires de Wagner.
Les médias officiels russes restent très prudents, la mort de Prigojine est reléguée en queue du peloton de l’info mais, dés l’annonce de « l’accident « , un extrait d’une ITW du président Poutine en 2018 a circulé à nouveau en Russie:
«Est-ce que vous savez pardonner?», l’interroge un journaliste de Rossiya 1, la télévision officielle.
– «Oui, mais pas tout»
– «Qu’est-ce qui est impossible à pardonner?», continue le journaliste.
-«La trahison», répond le président russe sans sourciller.
Au KGB, quand on n’a plus besoin d’un agent, surtout quand il a fait mine de trahir et de vous menacer – «un coup de poignard dans le dos» – on s’en débarrasse. Au choix, le poison, un mauvais coup de parapluie bulgare, pendu à un arbre, ube chute dans les escaliers ou au fond d’une piscine, … ou un accident d’avion, plus cher, mais plus sûr.
Un accident fort improbable, une bombe, un missile? Pour l’instant, les causes exactes de la chute de l’avion ne sont pas encore confirmées. Mais Poutine, patron du Kremlin, parrain mafieux et fils naturel du KGB, ne pouvait pas faire autrement.