Mozart dans les quartiers nord de Marseille ?

publié le 07/02/2024

Katia Yacoubi, militante et travailleuse sociale, se bat pour créer un conservatoire au sein même des quartiers nord. Là où les talents ont toutes les peines du monde à émerger. De notre correspondant à Marseille

Katia Yacoubi. D.R

Doit-on forcément faire du rap, dès lors que l’on est un jeune issu d’un quartier populaire, pour accéder à son propre épanouissement artistique ? Pour Katia Yacoubi, travailleuse sociale, présidente de l’association marseillaise Adelphi’Cité (« qui agit en faveur de la vie de la cité »), il n’est pas question de se résoudre aux choses définitives. Même si elle est une amatrice de rap, « surtout le rap conscient » précise-t-elle, elle demeure convaincue que les jeunes des quartiers “ne sont pas bons qu’à ça ». Elle milite ainsi pour la construction d’un conservatoire de musique au sein des quartiers nord.

L’idée s’inscrit dans un plan citoyen plus large, fruit d’une année de rencontres collectives d’habitants et de professionnels du terrain. Destiné à l’opinion publique et aux politiques, ce projet, découpé en plusieurs thématiques, se veut une force de proposition susceptible d’enrayer la spirale de la violence à Marseille. Ce document constate , entre autres, un manque cruel d’accessibilité à la multiplicité des pratiques culturelles dans les quartiers populaires. Pourtant, les talents ne manquent pas.

Katia Yacoubi en veut pour preuve l’histoire de Morad. Ce jeune marseillais originaire du quartier de La Castellane,  avait été filmé à son insu en 2018, à l’âge de 14 ans, alors qu’il jouait du piano dans une salle d’attente de l’hôpital de la Timone. Devant le succès de sa prestation -il interprétait du Chopin-, diffusée sur les réseaux sociaux, la mairie avait décidé de lui offrir un piano. Depuis, il a signé un contrat avec une maison de disque.

Il est clair, pour Katia Yacoubi, que l’accessibilité aux arts ne doit pas être « une question de chance », se limiter à être présente au bon endroit au bon moment. Il faut élargir le champ des possibles et que les pratiques artistiques, dans leur diversité, viennent aux quartiers. À titre d’exemple, à Marseille, le Conservatoire à rayonnement régional Pierre Barbizet qui enseigne musique, théâtre et danse se trouve à un peu plus de 45 minutes du quartier de La Castellane.

Celle qui veut « renverser la donne » milite pour un conservatoire qui soit prioritairement accessible aux jeunes défavorisés, issus des quartiers, sans pour autant réduire l’exigence en matière d’enseignement. « Nous n’avons pas peur de cette notion. On veut les meilleurs profs, nous aussi, car nous avons des pépites chez nous. » Ces jeunes, elle en parle avec émotion. Née en Algérie, arrivée à Marseille à 3 ans, Katia Yacoubi se souvient de ses propres années de collège pendant lesquelles on ne lui a pas donné « la possibilité de rêver ».

Depuis, elle en a parcouru du chemin. Elle croit fermement à l’aubaine que pourrait représenter l’ouverture d’un établissement d’enseignement artistique dans des territoires concentrant 29 % de la population de la ville. « C’est comme cela qu’on répond aux préoccupations des habitants, en leur permettant d’engranger avec eux des bagages qu’ils pensent inaccessibles. » Une conviction qui sera soufflée à l’oreille du maire, en mars prochain, lors de la présentation du plan citoyen. Katia Yacoubi, déterminée, a déjà sa petite idée de l’emplacement idéal.

Yamine Nfifakh (à Marseille)