Mozart et la fin du monde

par Jacques Treiner |  publié le 30/12/2023

Oriol Bohigas était physicien, mon directeur de thèse, un ami disparu aujourd’hui. Un homme, rare, qui savait poser les bonnes questions

D.R

Oriol était un bon physicien. Ça signifie qu’il savait poser de bonnes questions. Mais qu’est-ce qu’une bonne question ? A priori on ne sait pas, la question est bonne si la réponse est riche. Si à pourquoi ? On peut répondre parce que, c’est sans doute que la question n’est pas très intéressante, en tout cas, elle n’apporte rien de nouveau. 

Quand on allait voir Oriol avec une question, on recevait souvent en retour quelque chose comme : c’est intéressant, ça me fait penser à cette autre question, je ne sais pas si tu y as pensé… ? Et donc vous arriviez dans son bureau avec UNE question, et vous repartiez avec DEUX questions, et c’était un vrai cadeau, car l’association de ces deux questions pouvait changer la réflexion et vous mettre sur une meilleure piste que la piste initiale.

Il a reçu un prix de la fondation von Humboldt. Cela consiste à être invité à passer six mois dans une demeure, façon château, à réfléchir, à discuter avec les gens, à prendre des rendez-vous, libre de toute autre préoccupation. Il n’y a pas que des scientifiques, il y a des littéraires, et voilà Oriol prenant un matin le petit déjeuner avec un historien.

Ils parlent d’histoire, et notamment du fait que le monde naturel a une histoire. C’est une idée banale aujourd’hui, mais elle est relativement récente dans l’histoire des sciences, disons un siècle. Sans être astrophysicien, Oriol brosse à grands traits la formation du système solaire il y a 4,5 milliards d’années, puis sa relative stabilité tant que les réactions de fusion thermonucléaire compensent la tendance à l’effondrement gravitationnel ; l’autre est intéressé, apparemment pas au courant, et demande : et à l’avenir, que se passe-t-il ?

Eh bien les réactions de fusion de l’hydrogène en hélium vont perdurer pendant encore 4 à 5 milliards d’années, puis quand l’hydrogène au centre aura été épuisé l’étoile va devenir une géante rouge ; sa surface va passer de 5800 degrés à 3000 degrés, mais 3000 degrés, si l’étoile devient vraiment très grande, c’est suffisant pour vaporiser Mercure, puis Vénus… puis la Terre. Au fur et à mesure qu’il explique ça, il voit le gars qui se fige et pique du nez dans son café au lait.

Oriol s’arrête, et lui demande : qu’est-ce qui se passe, ça ne va pas ? Le type sort de son mutisme le regarde, ou plutôt son regard le traverse, et il murmure : « alors, il n’y aura plus personne pour écouter les sonates de Mozart… »    

À quoi tenons-nous, vraiment ?

Bonne année !  

Jacques Treiner

Chroniqueur scientifique