My name is Musk, Elon Musk

par Bernard Attali |  publié le 19/07/2024

Il n’est pas seulement richissime il dispose d’un immense pouvoir. Une menace de plus  pour la démocratie ? 

Il dirige Space X, Tesla, Neuralink, X. Il pèse plus lourd que la plupart des pays de la planète. Ceux qui pourraient arrêter sa montée en puissance ne le veulent pas. Et ceux qui voudraient l’arrêter ne le peuvent pas. Ce n’est pas sa fortune qui fait son pouvoir, mais son pouvoir qui fait sa fortune. Dans certains domaines, Elon Musk remplace les États ou leur tient tête.

Cet entrepreneur sud-africain, canadien et américain à la fois, père de 11 enfants (dont le dernier se prénomme… Technomecanicus), riche de 246 milliards de dollars, est devenu un géant en moins de quinze ans. Un tiers des satellites de télécommunication en orbite autour de la Terre lui appartiennent (sa constellation comporte 3 660 minisatellites en orbite basse), avec un principe : premier arrivé, premier servi. Bien qu’il ait déjà dépensé 6 milliards de dollars dans l’aventure, ce n’est qu’un début : il voudrait en placer 30 000 ! Et demain aller sur la planète Mars.

C’est grâce à lui que l’Ukraine a pu affronter l’armée russe. Il ne fabrique pourtant ni canons Caesar, ni chars Leopard3, mais ses satellites sont vitaux dans cette guerre du XXIe siècle. Il a ainsi permis aux forces ukrainiennes d’utiliser leurs systèmes numériques de combat, d’exploiter du renseignement, de coordonner des frappes d’artillerie, et aux unités opérationnelles de dialoguer avec leurs états-majors. 

C’est le même qui a racheté Twitter, devenu X, pour 44 milliards de dollars, mettant la main sur un gigantesque réseau d’influence de 350 millions d’utilisateurs. Sur ce nouveau territoire, il a tout de suite fermé les comptes de journalistes critiques, du New York Times au Washington Post, coupables d’avoir dévoilé la localisation de son jet personnel et donc attenté à sa vie privée.

« En ce début de XXIe siècle, nous assistons à un spectaculaire glissement du pouvoir à l’avantage d’une demi-douzaine de tycoons, dirigeants de « firmes-monde », au sens braudélien du terme »

Le voilà maintenant dans le jeu diplomatique : il a cru bon de livrer au public son plan pour la paix en Ukraine (favorable aux Russes), puis de proposer un statut pour Taïwan encore plus délirant (favorable aux Chinois). Qu’un tel homme se prenne pour un diplomate averti n’est guère étonnant, quand on sait que certains pays désignent des ambassadeurs auprès des magnats de la tech, reconnaissant ainsi implicitement leur extra-territorialité. 

En ce début de XXIe siècle, nous assistons à un spectaculaire glissement du pouvoir à l’avantage d’une demi-douzaine de tycoons, dirigeants de « firmes-monde », au sens braudélien du terme – c’est-à-dire des entités économiques et politiques dont l’hyperpuissance n’est pas régulée. Ils rêvent déjà de modifier nos cerveaux. Pied de nez de l’histoire : c’est le pays le moins démocratique de la planète, la Chine, qui a réagi : lorsque les grandes plateformes américaines ou chinoises sont devenues surpuissantes, lorsqu’elles ont représenté un danger pour l’État, Xi Jinping leur a coupé les ailes. 

Dès lors, une question se pose, à l’heure où la moitié de la planète ne s’informe plus que par les réseaux : un seul démiurge pourrait donc décréter ce qui est bien et ce qui est mal, qui peut parler et qui doit la boucler ? Réveillons-nous : le danger est immense ! Servitude volontaire, disait la Boétie : on raconte souvent que la démocratie est menacée par ses ennemis extérieurs, les régimes illibéraux. Et si elle l’était de l’intérieur, par ses propres excès ? 

À lire : Ces milliardaires plus forts que les États, par Christine Kerdellant (Éditions de l’Observatoire, 2024)

Bernard Attali

Editorialiste