« Mystification » : la leçon de science de Patrick Cohen

publié le 10/09/2023

Le journaliste de France 5 démonte, dans un documentaire, le mécanisme des impostures scientifiques. Indispensable

Le journaliste Patrick Cohen a réalisé un documentaire, rigoureux et clair, que chacun doit voir. Il permet en effet de comprendre comment certains scientifiques égarés, tel Didier Raoult, parviennent à susciter autour de leurs thèses sans fondement sérieux des mouvements d’opinion aussi considérables que dangereux.

Plutôt que de revenir une nouvelle fois sur l’affaire de l’hydroxychloroquine, ce médicament présenté comme décisif dans la lutte contre le Covid-19 et qui, en fait, n’a pas plus d’effet sur cette maladie qu’un simple placebo, Cohen portraiture quatre personnages qui furent, en un sens, les précurseurs de Raoult, le professeur Even, promoteur de la ciclosporine, censée soigner le Sida, Jacques Benveniste, grand prêtre de la « mémoire de l’eau », Claude Allègre, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Trofim Lyssenko, le généticien protégé par Staline.

Au fil de ces quatre affaires, vrais polars scientifiques, on comprend, peu à peu, le mécanisme qui transforme une thèse scientifique erronée en vérité révélée qu’une opinion crédule – et un pouvoir politique intéressé – finit par adopter hors de toute distance critique, tel un dogme asséné par le gourou d’une secte.

Il y faut d’abord un scientifique de renom au caractère affirmé, enclin à la dissidence dans son milieu et doté d’un égo quelque peu enflé. À des degrés divers, c’est le cas de nos quatre cavaliers de la « science alternative », tous respectés à l’origine par leurs pairs, tous saisis par le vertige de la célébrité qui leur fait perdre leurs repères rationnels. Il y faut ensuite des médias crédules.

Dans le cas de Lyssenko, phénomène né au sein d’un régime totalitaire, les journalistes durent travailler sur ordre pour promouvoir la théorie « prolétarienne » de la transmission des caractères acquis en génétique, qui collait si bien avec l’idée de l’homme nouveau » produit par le système soviétique. Mais le mal s’étendit ensuite aux démocraties.

On voit ainsi qu’un génie de la littérature comme Aragon se fit, par adhésion aveugle au stalinisme, le thuriféraire d’une billevesée maintes fois réfutée. Il fut même le créateur de la célèbre locution qui devint le sésame des prophètes aussi péremptoires qu’ignorants : « Je ne suis pas généticien (biologiste, climatologue, médecin, etc.), mais… » qui ouvrait encore récemment toutes les interventions favorables à l’hydroxychloroquine. Quant aux trois autres prophètes, ils suscitèrent l’approbation d’une partie de la sphère médiatique. Pourquoi ?

Parce que leurs thèses rencontraient une émotion populaire : l’angoisse devant l’apparition du sida (puis du Covid trente ans plus tard), la peur de la catastrophe écologique, qu’Allègre soignait par un déni aux atours scientifiques, le rêve dans le cas de Benveniste, dont la supposée découverte sur « la mémoire de l’eau » bouleversait les fondements d’une science jusque-là établie et confortait au passage la secte des croyants de l’homéopathie qui sévit encore aujourd’hui.

Dernier ingrédient : le soutien de personnalités politiques. L’ex ministre Georgina Dufoix, que beaucoup tiennent aujourd’hui pour une illuminée, apportant sa caution à Even et sa ciclosporine ; Staline distinguant Lyssenko et faisant taire ses adversaires ; Allègre, lui-même ministre et excellence de la jospinie ; De Villiers et l’extrême-droite dans le cas de Raoult, mais aussi Estrosi, Douste-Blazy, et même Emmanuel Macron, président de la République, tous tombés par calcul politique dans l’antiscience.

Reste l’antidote, connu de tous, mais qui n’exerça ses effets qu’au terme de polémiques interminables : le respect des méthodes scientifiques d’administration de la preuve, seule capable d’établir la vérité d’une théorie ou l’efficacité d’un médicament.

Une réalité simple que les artifices populistes ou idéologiques tentent à chaque fois de discréditer. Un antidote que Cohen administre avec une pertinence remarquable.