Nager dans la Seine

par Thierry Gandillot |  publié le 07/06/2024

L’histoire de la grande compétition internationale de natation à Paris en 1905. Une formidable épopée…déjà!

D.R

Antoine de Baecque, biographe de Godard et Truffaut, est un adepte du sport. Il y a une quinzaine d’années, il a accompli la Grande Traversée des Alpes par le GR5 lesté d’un sac de 17 kilos : soit 650 kilomètres, 30 000 mètres de dénivelé positif, 30 grands cols, quatre fois la hauteur de l’Everest. Il en avait tiré un Essai d’histoire marchée, érudit et enlevé  : La traversée des Alpes.

Pas surprenant donc qu’à l’approche des J. O. de Paris, l’agrégé d’histoire se soit penché sur l’avènement du sport comme culture de masse. Il balaie large : de l’invention du supporter à celle des cinq anneaux olympiques ; de l’âge d’or de la presse sportive au Tour de France ; des militants de la gymnastique aux militantes du sport féminin.

Mais un chapitre en particulier attire la curiosité : « Nager dans la Seine ». Douze kilomètres du pont National au viaduc d’Auteuil, soit plus de trois heures d’effort. À l’ouverture des inscriptions, c’est la cohue : 800 candidats. Sagement, les organisateurs leur font passer un test sur 5000 mètres : aucun ne termine l’épreuve. Finalement, ils ne sont que huit sur la ligne de départ : les Anglais Burgess, médaillé de bronze aux JO de Paris en 1900, Holbein, 2° du Bordeaux-Paris cycliste, Billington, champion du monde du 500 mètres, et Nuttall, recordman du monde du mile ; les Français Bougoin, champion national du 500 mètres, Poulitou, sergent, et Paulus, recordman d’Europe de l’heure en bassin, vétéran de l’épreuve à 44 ans ; et une « sirène » australienne de 19 ans, Annette Kellerman. C’est elle qui le mardi 10 septembre à 8 heures, est la première à plonger dans la Seine.

Les ponts sont aménagés, des « bonimenteurs »engagés, des jeux nautiques organisés. Les Anglais sont archifavoris. Longtemps, de fait, Billington mène la course grâce à la rapidité extraordinaire de son trudgeon, l’ancêtre du crawl. Loin derrière, Burgess et Paulus pratiquent l’over arm stroke. La brasse de Poulitou est désuète. Holbein nage sur le dos, tandis qu’Annette Kellermann se partage entre crawl, nage indienne et brasse coulée.

Coup de théâtre quand à 10 h 57, à la hauteur du pont de l’Alma, Billington, transi, abandonne, bientôt imité de Nuttall et Bougoin. Le sergent Poulitou est sommé de s’arrêter par sa hiérarchie…au motif qu’il n’a pas posé de jour de congé ! C’est Paulus qui gagne, porté en triomphe par une foule en délire. À deux kilomètres de l’arrivée, épuisée, Annette veut arrêter, mais son père lui passe un morceau de pain imbibé de cognac et elle rallie le viaduc d’Auteuil, « toujours joyeuse et espiègle , en 4 h 52 min avec 1 h 30 min de retard sur Paulus.

Et la pollution dans tout ça ? Pas un mot… mais quelques mois plus tard, la sirène australienne nage dans la Tamise : «  C’était abominable. Je me reverrai toute ma vie en train de nager au milieu des épaves et des détritus en avalant ce qui me semblait être des litres de pétrole répandus sur ce fleuve graisseux.”

Sports Belle Époque- Antoine de Baecque- Passés/Composés- 22 euros, 345 pages

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture