« Ne pas laisser la France à Le Pen, ni la gauche à Mélenchon »

par LeJournal |  publié le 21/06/2024

Pour Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du PS, il faut d’abord empêcher la victoire du RN, puis rééquilibrer la gauche

Le premier secrétaire du Parti socialiste français (PS) Jean-Christophe Cambadelis au siège du PS à Paris, le 29 novembre 2016 -Photo PHILIPPE LOPEZ / AFP

LeJournal.Info – Beaucoup d’électeurs sociaux-démocrates ou de la gauche démocratique hésitent à voter Front Populaire à cause de la présence de la France insoumise dans la coalition. Que leur dites-vous ?

Jean-Christophe Cambadélis – Je leur dis qu’entre le Rassemblement national, qui menace la République le 7 juillet, et LFI qui menace la gauche à terme, le choix est vite fait. Ce qui n’exclut pas le droit d’inventaire sur cette alliance et son contenu programmatique et suppose un front républicain au second tour avec toutes les forces susceptibles de barrer la route au RN. Mais le principe est simple : il ne faut pas laisser la France à Marine Le Pen, ni laisser la gauche à Jean-Luc Mélenchon. 

Comment avez-vous réagi aux accusations d’antisémitisme portées contre la France insoumise, qui ont déteint sur le Nouveau Front Populaire ?

Le fait qu’il y ait à LFI des israélophobes qui créent un climat antisémite au sein de la France insoumise est indéniable. Mais étendre ces justes reproches au Nouveau Front Populaire revient à instrumentaliser cette atmosphère épouvantable à des fins partisanes, dans le but de discréditer la gauche dans son ensemble.

Pourquoi la gauche n’a-t-elle pas exigé de LFI qu’elle enlève l’investiture à ses candidats qui ont tenu des propos condamnables ?

Si j’avais été premier secrétaire, comme je l’ai été par le passé, j’aurais pris comme point d’appui les 14 % obtenus par Raphaël Glucksmann pour placer les écologistes et le Parti communiste devant un choix : soit un rassemblement sur une ligne réformiste, social-démocrate, autour de nous, soit une union avec LFI, mais sans nous, les réformistes. Cela nous aurait évité, à nous socialistes, ces débats délétères sur l’antisémitisme qui empoisonnent la vie du Nouveau Front Populaire. Mais aujourd’hui, je ne peux pas, en raison d’un ressentiment, aussi fondé soit-il, appeler à la défaite de la gauche, ce qui renforcerait les chances du RN et lui permettrait sans doute d’accéder au pouvoir.

Le RN peut donc gagner ?

Le RN a obtenu un score de premier tour qui le permet. Et s’il n’y a pas de front républicain au second tour, comme cela se dessine, malheureusement, sa victoire devient vraisemblable. Pas certaine, bien sûr, mais vraisemblable.

Quel est le contenu de ce front républicain ?

C’est un accord électoral, tacite ou explicite, qui s’applique dans deux cas de figure : en cas de duel au second tour dont elle est absente, la gauche appelle à voter pour les candidats républicains contre le RN, et bénéficie de la réciproque de la part des forces du centre et de la droite ; en cas de triangulaire, les mêmes se désistent pour le candidat républicain le mieux placé.

Ce front ne se constituera pas ?

Très difficilement. Les macroniens ont hystérisé la critique du Nouveau Front Populaire en proclamant que les candidats de la gauche – tous ! – étaient infréquentables, indéfendables. Et par la voix d’Éric Coquerel, LFI a annoncé qu’elle appellerait au second tour à voter pour les seuls candidats macroniens qui ont refusé la loi immigration. C’est-à-dire très peu. Dans les deux cas, ces positions conduisent à l’élection d’un candidat d’extrême-droite.

À l’inverse, la gauche peut-elle gagner ?

Tout est possible. Mais je constate que dans tous les sondages qui ont été effectués pour ces législatives, le total des voix de la gauche est inférieur à celui atteint aux Européennes. Autrement dit, la dynamique de l’union n’est pas aussi forte qu’on le souhaite.

La gauche unie attire moins que la gauche divisée ?

Oui. En fait, on a commis un contresens. On a cru qu’il s’agissait de refaire une union de la gauche classique autour d’un programme de transformation sociale. Or il s’agit d’empêcher la venue au pouvoir de l’extrême-droite, ce qui n’est pas la même chose. Le Front populaire du printemps 1936, rappelons-le, comprenait dans la coalition le Parti radical, qui s’alliait alternativement avec la gauche et la droite, un peu comme les macroniens aujourd’hui. Et le Parti communiste se gardait de toute revendication qui pouvait effrayer les électeurs centristes, à l’inverse de ce que fait LFI aujourd’hui, qui pratique volontiers la surenchère. À l’époque, le PCF de Thorez avait même refusé les projets de nationalisation mis en avant par Blum et la SFIO, pour ne pas inquiéter les classes moyennes. Le PCF n’a pas non plus participé au pouvoir, alors que LFI laisse entendre que c’est son groupe qui désignera le Premier ministre.

Le programme du Nouveau Front populaire est-il réalisable ?

Les urgences de l’heure se décomposent en trois objectifs : assainir, produire, répartir. Ces trois mots d’ordre forment un équilibre entre la réduction des déficits, le renforcement de l’appareil productif et la satisfaction des justes revendications sociales. Il faut choisir entre les dépenses. On ne peut pas tout à la fois augmenter le SMIC, ce qui est justifié en soi pour rattraper les pertes de pouvoir d’achat, revenir à la retraite à 60 ans, et investir massivement dans les services publics. Il faut tenir compte de la situation économique dans laquelle nous sommes et donc prioriser les dépenses.


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Chacune des dépenses prévues peut se justifier, mais leur addition est excessive ?

Il faudra faire des choix, à partir d’une situation économique catastrophique. L’ardoise laissée par Macron est épouvantable. Comment ne pas en tenir compte ?

Il y a deux chiffrages du programme : celui de Valérie Rabault, socialiste, et celui de LFI, nettement plus dispendieux. Il y a donc deux visions au sein de la coalition.

Ce n’est pas étonnant. Les chiffrages sont subordonnés à l’interprétation qu’on donne du programme. La gauche réformiste et la gauche radicale ne sont pas d’accord. Elles ont chacune une version du même programme. Mais cette discussion est secondaire par rapport à l’enjeu principal : empêcher le RN de gagner. Il faut tout subordonner à cet objectif.

Est-ce réaliste d’annoncer à l’avance qu’on ne tiendra aucun compte du pacte de stabilité européen qui prescrit une réduction des déficits ?

Facile à dire, pas facile à faire. On ne sort pas comme cela des traités de l’Union. De plus, la question des déficits est un problème en soi, indépendamment des règles européennes. Il y a une limite à l’endettement. En prêtant le flanc à ces critiques, on déplace le débat sur un mauvais terrain, celui de la crédibilité de la gauche, alors que la question centrale, c’est l’éventuelle accession du RN au pouvoir.

Et le programme fiscal, est-il crédible ?

Chacune des mesures se justifie et l’imposition des plus riches est légitime. C’est leur addition qui pose problème. Faire tout d’un seul coup, c’est un choc fiscal excessif, qui inquiétera bien au-delà des classes supérieures.

Comment voyez-vous l’après 7 juillet ?

Il y a trois scénarios. Si la gauche gagne, ce qui me semble peu probable, il faudra trouver un compromis sur l’interprétation du programme. Si le Rassemblement national est majoritaire, il faudra organiser l’opposition. J’appelle dans cette hypothèse à la constitution d’un Comité de vigilance sur les libertés qui regrouperait Renaissance et la gauche, de manière à opposer au RN un front large. Enfin, si le RN et la gauche restent minoritaires, il faudra bien trouver une majorité pour gouverner. Je préconise la constitution d’un gouvernement de défense républicaine soutenu par le centre et la gauche. Cette fois, la référence historique n’est plus le Front populaire (puisque la coalition de gauche sera minoritaire), mais le gouvernement de Waldeck-Rousseau au moment de l’affaire Dreyfus, quand il a fallu défendre la République contre l’assaut des forces réactionnaires. Ce gouvernement comprenait des hommes de droite, comme le général de Galliffet, des hommes de gauche comme Millerand, et bénéficiait du soutien des socialistes comme Jean Jaurès, Jules Guesde ou Édouard Vaillant. Aujourd’hui, ce gouvernement de défense républicaine aurait pour mission d’écarter le danger nationaliste, de redresser la France, de défendre l’Europe et de restaurer la République.

La France insoumise n’en voudra pas…

Il ne faut pas faire une politique en fonction de la France insoumise. Il faut se fixer un objectif conforme à l’intérêt du pays et des institutions républicaines. LFI sera placée devant un choix : soutenir la défense républicaine, ou se faire l’alliée objective du RN. La priorité, c’est bien la défense de la République !

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