Notre ami MBS

par Laurent Joffrin |  publié le 15/06/2023

Il y a cinq ans, sur ordre du prince Mohammed Ben Salmane, dit « MBS », le journaliste Jamal Khashoggi était séquestré, torturé, démembré et décapité dans les locaux du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. Vendredi, Emmanuel Macron déjeune avec MBS

Laurent Joffrin

Le 8 octobre 2018, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi pénètre dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. Il vient se procurer un document administratif nécessaire à son remariage avec une journaliste turque, prévu pour le lendemain. En fait, cet opposant déclaré au régime de Mohammed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, vient de tomber dans un traquenard.

Dans le consulat, une quinzaine d’agents saoudiens proches du prince l’attendent. Il est séquestré, longuement torturé de diverses manières, la moindre étant qu’on lui coupe plusieurs doigts avant le démembrer – certaines sources affirmeront qu’il était vivant pendant l’opération – puis de le décapiter.

Les enquêtes menées par la presse, par les autorités turques et par les services de renseignement américains, convergent, éléments concrets à l’appui, pour affirmer que le journaliste a été torturé et exécuté sur ordre du prince Mohammed Ben Salmane, qui lui reprochait, entre autres, d’avoir publié des articles très critiques envers la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen.

Après avoir nié, les autorités saoudiennes ont reconnu leur responsabilité dans l’assassinat de Khashoggi, mais incriminé un haut responsable de la sécurité, de manière à dégager la responsabilité du prince. On estime aujourd’hui que le prince s’est tenu par téléphone au courant de l’évolution de l’opération au consulat saoudien d’Istanbul.

L’horreur du crime, l’usage de la torture, le fait que l’assassinat ait eu lieu sur un territoire étranger, tout cela a placé quelque temps Mohammed Ben Salmane au ban de la scène internationale. D’autant que la répression des opposants s’est dans le même temps intensifiée en Arabie saoudite et que le prince a déclenché et dirigé une guerre à la fois illégitime et meurtrière au Yémen pour réduire une faction que les Saoudiens jugent hostile, provoquant la plus grande famine de ce début de siècle.

Seulement voilà : Mohammed Ben Salmane, affectueusement surnommé « MBS » par les diplomates, dirige une grande puissance pétrolière et financière qui a décidé de mener à bien une vaste mutation dans son pays pour diversifier son économie, libéraliser prudemment ses mœurs et développer maintes relations industrielles, commerciales et financières avec les puissances occidentales et asiatiques.

Cinq ans plus tard, donc, le président Emmanuel Macron reçoit le prince héritier à Paris pour discuter avec lui de la candidature de l’Arabie saoudite à l’organisation de l’Exposition universelle de 2030 – où la question des droits humains occupera sans doute une place importante – et de divers autres dossiers intéressant les deux pays.

Pour bien marquer son intérêt, le président français déjeunera avec lui vendredi (mais pas au consulat d’Arabie à Paris). On ignore seulement la longueur de la cuillère dont il se servira pendant le repas.

Laurent Joffrin