Objectif Europe pour l’extrême-droite
L’entretien de Marion Maréchal-Le Pen dans le néo-JDD résume fort bien l’inquiétante stratégie des nationalistes lors des prochaines élections européennes
Peu à peu, par touches successives, l’orientation politique du néo-JDD se confirme. La nouvelle direction, bien entendu, se garde de tout virage brutal : elle tient à garder, autant que possible, le lectorat initial du journal, sans lequel il n’y a pas d’équilibre économique. Moderato cantabile, donc…
Pourtant une lecture un tant soit peu vigilante ne laisse pas de doute : deux pages de défense militante du Puy-du-Fou, le spectacle très vieille France créé par Philippe de Villiers attaqué dans l’émission de France 2 « Complément d’enquête » ; deux tribunes au couteau, l’une dirigée contre l’école, qui a l’audace de vouloir « créer des républicains », l’autre qui donne une interprétation très identitaire de la laïcité, à l’opposé de la loi de 1905.
Et encore, une première page faussement banale consacrée à la victoire de l’équipe de France de rugby contre les All-Blacks, titrée « Allons enfants de la Patrie », une victoire fondée moins sur le talent des joueurs que sur des « valeurs » nationales – le travail notamment (il ne manque plus que la famille) ; une page, enfin, offerte à Marion Maréchal Le Pen, fraîchement désignée tête de liste de Reconquête, le parti fondé par Éric Zemmour. Le cocktail JDD était jusque-là plutôt fade : il s’épice progressivement.
Somme toute, c’est l’entretien avec Marion Maréchal-Le Pen qui doit retenir l’attention. Il exprime de manière très claire la nouvelle stratégie européenne de l’extrême-droite. Jusque-là, il s’agissait de dénoncer la « dictature de l’Union » et de préconiser son démantèlement. Mais comme les opinions publiques du continent tiennent, quoi qu’on en pense, au maintien de la construction européenne, cette position europhobe, ou eurosceptique, ne passe plus la rampe.
La jeune femme l’explique sans ambages : il ne s’agit plus de détruire l’Union, mais de la pervertir de l’intérieur. Dans ce scénario, son rôle ne consiste plus à créer un vaste ensemble voué aux libertés publiques, à la prospérité économique et à l’action commune pour le climat ou la lutte contre l’agression russe en Ukraine.
Non, il s’agit désormais de « défendre la civilisation chrétienne », de combattre « la théorie du genre », de prévenir le « grand remplacement » : faute de pouvoir couler le navire, l’extrême-droite veut l’arraisonner.
A-t-elle une chance d’y parvenir ? Peut-être. La porte-parole de Zemmour annonce qu’elle militera pour l’union des deux formations qui abritent l’extrême-droite au Parlement européen. Cette coalition prétendra se substituer à la convergence fondée sur le compromis qui donne la prééminence en Europe aux sociaux-démocrates et aux démocrates-chrétiens, les deux piliers traditionnels de l’édifice.
Ces formations nationalistes sont aujourd’hui loin du compte. Mais la montée de l’extrême-droite partout sur le continent leur donnent des ailes. Plutôt que de savoir si Macron ou le RN arriveront en tête, ce qui ne changera guère la politique nationale, c’est le véritable enjeu du prochain scrutin européen.