Occident : pourquoi tant de haine ?
Aveuglement, inculture, auto-suffisance, face au reste de la planète, le monde occidental serait une marmite prête à exploser. Brr…
ls veulent la mort de l’Occident. « Nous ne l’avons pas vu venir, écrit Jean-François Colosimo dans son dernier ouvrage « Occident, ennemi mondial n° 1 ». Puis nous n’en avons pas cru nos yeux. Pourtant, c’est arrivé. Les anciens empires du XIXème siècle, tsariste, ottoman, perse, qing, moghol, semblaient à jamais disparus. En réalité, ils n’avaient fait qu’hiberner. Ils sont réapparus, radicalement transformés. »
Depuis des années, Colosimo, directeur des éditions du Cerf, essuie les vents violents de la géopolitique et de la religion. Son érudition et son expertise font merveille. On doit, entre autres, à cet ancien étudiant de l’université Aristote de Thessalonique, « La crucifixion de l’Ukraine : mille ans de guerres de religion en Europe. »
Il faut plonger dans cet essai, érudit, foisonnant, engagé. Colosimo, qui ne se cache pas derrière son petit doigt, pointe, non sans cruauté, notre aveuglement, et surtout notre inculture. Sous sa plume, des mondes engloutis réapparaissent, comme ces mammouths congelés sous le permafrost que le réchauffement climatique fait surgir. Sauf que les mammouths, on ne les fera plus courir, alors que les empires cryogénisés s’ébrouent, croissent, menacent.
Que peut-on craindre des leaders du grand réarmement des cinq empires – le Russe Poutine, le Chinois Xi, l’Iranien Khamenei, le Turc Erdoğan et l’Indien Modi ? Le pire. Les plaques tectoniques des continents idéologiques dérivent dangereusement, le point de friction est proche. La déflagration sera terrible.
Pendant des décennies, nous nous sommes aveuglés, persuadés que le système démocratique occidental, la globa-mondialisation l’avait emporté sur tous les autres systèmes. L’effondrement de l’Union soviétique et son éparpillement « façon puzzle » en était la meilleure preuve. « Après1989 et la chute du mur de Berlin, après 2001 et la chute des Twin Towers, de krachs financiers en booms numériques, de guerres sans termes en émeutes sans projets, nous avons laissé s’installer le désordre organisé faute de n’avoir pas voulu ou su apurer le passé. »
C’est l’histoire de cette arrogance occidentale, européenne et américaine, pour l’essentiel, que raconte Colosimo en remontant au XVIII ème siècle. « La désorganisation des sociétés traditionnelles sous couvert de les occidentaliser, ne débouche pas sur un nouvel ordre, mais sur des désordres amplifiés, lourds de menaces létales à l’horizon ».
Le paradoxe, c’est que les anciens empires en déliquescence, minés par les conflits, ont cherché au mitan du XIXème siècle à prendre le train de la modernisation à marche forcée. Ils n’avaient pas d’autres solutions. Pour autant, ils n’ont pas renoncé au despotisme. Mais pendant que les autocrates poussaient les feux de la modernité, le ressentiment, attisé par les religieux de tous bords, couvait. La greffe n’a pas pris, c’est un euphémisme. Aujourd’hui l’idée se répand qu’il « faut déposséder l’Occident de son pouvoir d’envoûtement. Il suffira de retourner contre lui l’arsenal qui, lui ayant été emprunté, ayant été imité de lui avec excès et dans le désordre, aura précipité leur descente aux abîmes. » La marmite ne demande qu’à exploser.
On plonge dans ce voyage dans l’espace-temps et on se demande en revenant : Et si l’on pouvait appuyer sur la touche « rembobinage » ? Trop tard, le poison est instillé, mais existe-t-il un contrepoison ? Colosimo ne nous laisse pas beaucoup d’espoir.
Occident, ennemi mondial n° 1. Jean-François Colosimo. Albin-Michel. 250 pages, 21,90 euros.