Offensive Saoudienne sur la croisette ?

par Tewfik Hakem |  publié le 22/05/2024

Journal de bord d’un festivalier ordinaire. Cannes au jour le jour par notre envoyé spécial sur la Croisette

Affiche officielle - D.R

Entre le monde d’avant (la pandémie) et le monde d’après, on a l’impression qu’absolument rien de fondamental n’a changé dans le fonctionnement du Festival de Cannes. Pourtant dans le Marché du film, un grand changement s’est opéré sans que personne ne le remarque outre mesure. Avant, le plus grand pavillon était celui des États-Unis, normal.

Aujourd’hui, c’est celui d’Arabie saoudite, incroyable ! Après l’avoir strictement interdit de 1983 à 2018, le royaume des Saoud réhabilite avec faste le cinéma. En tant que divertissement d’abord (des multiplex ont poussé partout dans le vaste pays), et ensuite en tant qu’industrie (production de films, construction de studios, formation de techniciens, création de fonds de soutien- dont le Red Sea Fund, dédié aux cinéastes arabes et africains).

Cette soudaine « dé-prohibition » du cinéma s’est faite au pas de charge, sur ordre du prince héritier Mohammed Ben Salman dit MBS, et dans le cadre de son vaste plan de réformes censé redorer le blason de la monarchie wahhabite. Depuis 5 ans, les femmes saoudiennes ne sont plus obligées de porter le voile, elles peuvent enfin sortir sans tuteur, conduire un véhicule, aller si ça leur chante au cinéma, pour voir le dernier Blockbuster américain ou pour découvrir en exclusivité les nouveaux films égyptiens. Mieux: désormais les saoudiennes peuvent, elles aussi, aspirer à devenir comédiennes, réalisatrices, ou occuper n’importe quel autre poste dans la fabrication et la distribution des films. C’est en soi une révolution soulignent les optimistes. Il fallait bien que tout change pour que rien ne change, tempèrent les autres…

Face à ce qu’ils considèrent comme « une offensive wahhabite », les professionnels du cinéma issus de la vielle gauche arabe préfèrent se tenir éloignés de ce nouveau gisement. Les jeunes ont moins de scrupules (ou plus d’ouverture ?) que leurs aînés, pour eux l’Arabie Saoudite n’est qu’un guichet parmi d’autres dans le long parcours de recherches de financements.

En soutenant les projets des jeunes cinéastes arabes qui abordent des sujets sensibles (sexualité, politique), les décideurs saoudiens semblent donner des gages de bonne volonté (deux exemples, l’année dernière la Tunisienne Kaouther Ben Hania pour Les filles d’Olfa, l’algérien Salah Issad pour Soula).
Plus largement, avec l’aide d’experts recrutés partout dans le monde, ils ont pu soutenir financièrement quelques films internationaux susceptibles de donner de leur donner une visibilité dans les grands festivals. Opération réussie avec Mon Roi de Maïwenn, qui a fait l’ouverture du Festival de Cannes l’année dernière.

Cannes 2024, le soft Power saoudien a fini par payer. Un film saoudien est sélectionné à Un Certain Regard.
Sur fond vert islam, un sabre guerrier et la Chahada (profession de foi) en arabe flottent dans le ciel cannois sans provoquer de panique. Miracle du Festival de Cannes, le drapeau saoudien et ses symboles ostentatoires se sont hissés très haut dans la petite ville balnéaire qui aime les riches, sans distinction de race et de couleur.

Tewfik Hakem