Olga, l’ombre de l’Affiche rouge

par Sandrine Treiner |  publié le 07/10/2023

Golda Bancic, dite «Olga», membre du « réseau » Manouchian, arrêtée, torturée et exécutée en mai 1944, est longtemps restée anonyme

 

Originaire de Moldavie, Golda Bancic, alias "Olga", était une pièce maîtresse du groupe Manouchian, composé de 23 résistants étrangers et dirigé par Missak Manouchian. D.R

Il faut connaître Chișinau, la capitale de la Moldavie, pour comprendre l’ampleur du chemin que Golda Bancic a fait pour venir défendre ses idées en France. Quand elle naît, le pays s’appelle alors la Bessarabie et sa capitale n’est qu’une ville d’apparence provinciale, dont l’unique singularité consiste en une zone de résidence imposée aux Juifs par le pouvoir tsariste, lieu, en avril 1903, d’un pogrom atroce.

C’est là que Golda naît, en mai 1912, dans une famille modeste, ce qui la contraint à peine adolescente, à travailler comme matelassière dans une petite entreprise. L’épreuve est assez rude pour la transformer naturellement en militante communiste, donc contrainte à la clandestinité. Elle est jeune, avide de liberté et de justice et cherche à se libérer de la religion et de la pauvreté. Le chemin est tracé. L’Union soviétique ?  Non, plutôt vers l’Ouest, au plus près, la Roumanie.

Elle y rencontre un communiste de Iasi, ville frontière, plus âgé qu’elle, Jacob Salomon qui devient son compagnon et, en 1939, le père de sa fille Dolorès, du prénom de la célèbre passionaria de la guerre d’Espagne, Dolorès Ibbaruri. C’est là aussi qu’elle rencontre d’autres camarades avec lesquelles elle s’oppose au régime autocratique roumain. On les appelle le Yiddishland révolutionnaire. Ils s’opposent à tous les conservatismes. L’exilée est arrêtée à Bucarest, condamnée et emprisonnée.

Sur les photographies qui l’immortalisent alors au seuil de la prison. Golda Bancic est brune, son visage, aux traits réguliers, est crispé. En cellule, parmi les détenus, elle rencontre ceux qui incarneront la nouvelle Roumanie soviétique après la Libération. Son compagnon, sous le pseudonyme d’Alexandre Jar, deviendra le poète officiel du régime. Golda ne participera pas au grand changement. À cette époque, elle aura déjà été assassinée par les Allemands.

Pour l’heure, nous sommes en 1938 et Golda, libérée, arrive à Paris. Son prénom sonne trop juif : Golda devient Olga. Immédiatement, elle prête main-forte aux associations communistes qui aident les militants des brigades internationales, mais assiste aussi à la bascule de la France, son pays d’accueil, dans la collaboration. Dès la rupture du pacte germano-soviétique, les communistes prennent les armes. Elle en est, bien sûr.  Regardez-la, son visage est devenu plus doux. Son allure discrète dissimule à merveille une détermination sans faille. Sa fille est placée en sécurité dans une famille d’ouvriers français en dehors de Paris.

Olga, elle, occupe des planques à plusieurs adresses dont le 112 rue du Château dans le 14e arrondissement à Paris, où une plaque désormais rappelle sa mémoire. Dans le groupe dirigés par Missak, Manouchian dont elle est déjà une figure majeure, elle est « Pierrette », porte d’autres noms encore et autant de cartes d’identité. Au sein des FTP-MOI (les francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée), la branche des étrangers du PCF clandestin, elle devient une pièce maîtresse, responsable des armements, chargée d’apporter le matériel sur le lieu des opérations de résistance, puis de les rapporter dans une cache. Pour traverser et retraverser Paris en dissimulant des armes, dans une ville bourrée de soldats allemands et de policiers français… il faut un courage inouï.

D’autant que certaines opérations tournent mal comme lors d’une action collective contre un autobus allemand entre la porte de Clichy et l’Hôpital Beaujon, le 2 juillet 1943. Le petit commando parvient à disparaître dans la nature : Joseph Clisci, camarade de longue date, est blessé. Il  continue à tirer sur les Allemands, tente de se suicider pour ne pas être pris vivant. Et meurt dans la soirée.

Les autres membres du groupe sont filés par les brigades spéciales de la préfecture de police de Paris qui attendent d’avoir identifié l’ensemble du groupe pour procéder à un coup de filet. L’inévitable se produit. Coup dur : un responsable politique des FTP-MOI est arrêté. Il parle. Identifié et confondu, il sera liquidé. Mais il est trop tard.

Le 16 novembre 1943, Olga a rendez-vous avec deux autres membres du réseau, Maurice Rajman et Josef Svec. Tous les trois sont arrêtés à 15 h30 avec eux rue Paul Brousse dans le 17e arrondissement par les brigades spéciales de la préfecture de police de Paris. On les embarque. Et les séances de tortures, commencent, atroces.

Que dit-elle sous la torture ? Rien ou si peu. « Je me nomme Bancic Golda, née le 28 mai 1912 à Chisinau de Noé et de Zains Marie, célibataire, un enfant. Je sais lire et écrire le français. Je suis arrivée en France en 1938, venant de Chisinau. Je suis de nationalité roumaine, de race juive. Je suis démunie de pièce d’identité étrangère. Je suis domiciliée 114 rue du Château ». (Le 17 novembre 1943. Interrogatoire à la Préfecture de Police de Paris) »

Elle parle d’elle, mais ne dira jamais rien qui puisse inquiéter ses camarades encore en liberté. Pour leur laisser le temps de s’éclipser. Elle sait que la mort l’attend. Envoyée à la prison de Fresnes, Olga est condamnée, comme les vingt-deux autres résistants du groupe. Les autres sont conduits au Mont Valérien, principal lieu d’exécution du millier de résistants et d’otages par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ armée allemande, à son honneur, ne fusille pas les femmes.

Elle ne figure pas non plus sur « l’Affiche rouge », les dix membres du réseau Manouchian, collée par les Allemands sur les murs de France. Une jeune femme résistante, les armes à la main… c’est embarrassant. La voilà jetée dans un train pour la prison de Stuttgart. Elle n’intéresse plus la police. Son dossier est classé.

Adolf Hitler, en personne, refuse la grâce et confirme l’exécution. Douze heures avant sa mort, elle écrit à sa fille Dolorès une dernière lettre (*) qu’elle confie à la Croix-Rouge :  « Mon cher petit amour … ». Au matin, Olga est décapitée. Elle a trente-deux ans.

Sa deuxième mort survient après-guerre. En France, elle demeure anonyme. Une clandestine au pays pour lequel elle a donné sa vie. La bataille se joue désormais sur le terrain politique entre communistes et gaullistes ? Qui va s’intéresser à la mémoire d’une poignée d’étrangers morts pour la France ?

En Roumanie soviétique, en revanche, on baptise de son nom des écoles et des gymnases. Et devant l’immeuble où elle a séjourné dans les années trente, au coin de la Strada Alexandru Philippide dans le secteur 2 de la ville de Bucarest, on appose une plaque commémorative.

En 1989, la chute du mur balaye le communisme d’antan et la plaque est déboulonnée. Par un étrange mouvement de balancier, Paris se réveille en 2013, quand la commission en charge de la dénomination des voies décide de donner son nom à un square, 34 rue Godefroy Cavaignac dans le 11.

Ombre parmi les ombres, une femme, Golga Bancic, « Olga », petite matelassière venue de Kichinev en Bessaravie, s’est battue pour la liberté et la France. Elle en est morte. Debout, en combattante, pas en victime. Il faudra penser à elle aussi le jour où la République célèbrera au Panthéon, en février prochain, le nom de Manouchian.

* Lettre à sa fille

« Ma chère petite fille, mon cher petit amour.
Ta mère écrit la dernière lettre, ma chère petite fille, demain à 
6 heures, le 10 mai, je ne serai plus.
Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière de ta mère, mon petit amour. J’ai toujours ton image devant moi.
Je vais croire que tu verras ton père, j’ai l’espérance que lui aura un autre sort. Dis-lui que j’ai toujours pensé à lui comme à toi. Je vous aime de tout mon cœur.
Tous les deux, vous m’êtes chers. Ma chère enfant, ton père est, pour toi, une mère aussi. Il t’aime beaucoup.
Tu ne sentiras pas le manque de ta mère. Mon cher enfant, je finis ma lettre avec l’espérance que tu seras heureuse pour toute ta vie, avec ton père, avec tout le monde.
Je vous embrasse de tout mon cœur, beaucoup, beaucoup. 
Adieu mon amour.
Ta mère. »

Sandrine Treiner

Editorialiste culture