Otages : histoire d’un crime
De Françoise Claustres au Tibesti aux otages israéliens de Gaza, en passant par les journalistes pris par Daech, ce qui était autrefois une pratique barbare ou exceptionnelle est devenu, par son efficacité, une méthode utilisée cyniquement par les groupes armés et même certains États.
L’affaire avait passionné la France. Tout y était, « La prisonnière du désert », Françoise Claustre, archéologue enlevée le 21 avril 1974, le cadre du somptueux désert du Tibesti, le rebelle inflexible et cruel, Hissée Habré, à la tête des guerriers Toubous. Un drame certes, mais qui semblait ressurgir d’un film muet des années 20. Un drame en plusieurs épisodes, souvent tragiques. D’abord, la durée, 1000 jours de captivité, un calvaire pour la jeune femme. Le commandant Galopin, grand connaisseur du Tchad, envoyé comme négociateur et qui est exécuté par les ravisseurs.
Le mari, Pierre Claustres, qui se rend sur place pour faire libérer sa femme et devient otage à son tour. Et le Premier ministre de la France, Jacques Chirac, qui se rend en personne à Tripoli pour négocier avec le parrain des rebelles, le colonel Khadafi. La France paye. Françoise Claustres et son mari seront finalement libérés le 31 janvier 1977. Elle se réfugie dans le silence. Et la France croit à la fin d’une histoire du passé.
À Téhéran, deux ans plus tard, éclate la révolution islamique, sous les traits sévères de l’Ayatollah Khomeini . Une foule hystérique, mais téléguidée par les gardiens de la révolution pénètre dans l’ambassade américaine et prend toute une partie du personnel en otage. Drame diplomatique, drame humain, il durera 444 jours. L’Iran réclamait le Shah. Il meurt. Téhéran obtient le dégel d’une partie des fonds iraniens et l’assurance qu’aucune poursuite judiciaire ne sera lancée contre les autorités iraniennes.
1985, dans un Liban déchiré par une guerre civile, la prise d’otages devient monnaie courante. Les milices chrétiennes emmurent leurs victimes dans des containers sur le port, les milices chiites les laissent pourrir au fond d’une cave du sud de Beyrouth. On paie, on échange, on troque. Le Hezbollah libanais, aux ordres de Téhéran, s’en prend aux étrangers. Jean-Paul Kauffmann, journaliste français, est enlevé avec Michel Seurat, universitaire spécialiste du Moyen-Orient, dès la sortie de l’aéroport.
Trois ans enchainés dans l’obscurité avec deux autres diplomates français, Marcel Carton et Marcel Fontaine. Et des mois à regarder Michel Seurat, atteint d’un cancer, agoniser sans soin. « On n’a pas vécu, on a survécu », dira, calme et blême, Jean-Paul Kauffmann sur le tarmac de l’aéroport à sa libération. Pour les autres, il restera l’« otage du Liban ». Lui vivra désormais avec l’image de Seurat mourant : « J’ai honte d’être là ». Et consacrera sa vie d’écrivain à exorciser son voyage de l’autre côté du miroir.
Otages… leurs portraits ont été affichés trois ans à la Une des journaux ou sur le fronton des mairies. La France commence à prendre conscience du prix des otages et de la force de l’arme.
Guerre du Golfe, 1991. Bagdad attend et redoute les bombardements américains. Soudain, on voit apparaître Saddam Hussein face aux otages étrangers qu’il a retenus à Bagdad. Face aux caméras du monde entier, le dictateur sanglant caresse d’une main la tête d’un enfant terrorisé. Plus question d’argent. Les otages ont une nouvelle fonction, celle de boucliers humains.
Partout, au Moyen-Orient et ailleurs, les régimes de terreur ont compris la puissance de l’arme. L’Iran en fait une stratégie d’état à long terme. Le troc toujours. En 2009, Téhéran obtient, en échange de Clotilde Reiss, étudiante française, la libération d’Ali Vakili Rad, condamné en 1991 pour le meurtre du Premier ministre Shapour Bakhtiar. À Téhéran, la foule l’acclame en héros. Aujourd’hui encore, l’Iran arrête régulièrement des étrangers, notamment français binationaux – trois d’entre eux sont encore détenus – pour les monnayer comme une simple marchandise.
Plus personne ne s’étonne, en juin 2013, quand quatre journalistes Didier François, Édouard Elias, Nicolas Hénin et Pierre Torrès, sont pris en otages en Syrie. Près d’un an de captivité dans des conditions épouvantables. L’heure n’est plus à l’envoi d’un Premier ministre pour négocier leur libération. Les gouvernements grincent devant le prix politique et financier à payer, on fait pression sur les rédactions pour qu’elles cessent d’envoyer des reporters, otages potentiels, sur les terrains à haut risque, les assurances atteignent des prix exorbitants, certains commencent à dire que le prix n’en vaut pas la chandelle.
Au Mali, pays coutumier des enlèvements, Olivier Dubois, journaliste français, libéré en 2023, reste pour l’instant, le dernier français pris en otage par les terroristes islamistes du GSIM.
Et les États cherchent la parade. Ne plus payer la moindre rançon ? François Hollande s’y essaie en 2013 : « la France ne paiera plus de rançon pour la libération des otages ». Un changement de doctrine mis à mal par la pression des familles et de l’opinion publique. Ailleurs, chacun adopte sa solution. Les États-Unis ne paient pas. La Russie envoie ses agents massacrer jusqu’au dernier la famille des preneurs d’otages identifiés. Israël troque ses prisonniers. Et il s’en donne les moyens.
Selon le Times of Israël, plus de 1100 Palestiniens seraient en « détention administrative », certains depuis des années, c’est-à-dire sans jugement, sans vraiment d’avocat, sans inculpation, une forme de prise d’otages à coup de périodes de six mois renouvelables à l’infini.
L’Iran des mollahs, les talibans d’Afghanistan, Daech en Irak, en Syrie, les djihadistes de tout poil, Hamas, Hezbollah, les milices… tous pratiquent désormais sans retenue cette traite des êtres humains.
Le dernier épisode en Israël, s’il ne surprend pas sur le principe, étonne par l’ampleur du rapt programmé. La méthode a été révélée par des combattants du Hamas fait prisonniers. Ils avaient ordre de tuer les hommes et, pour chaque otage pris, devaient recevoir 10 000 dollars et un appartement à Gaza. Femmes, vieillards, enfants, tout était bon. Résultat, 200 otages israéliens sont retenus dans la toile d’araignée des 500 kilomètres des tunnels sous Gaza, dont certains, à une quarantaine de mètres de profondeur.
Yochered Lifshitz, 85 ans, libérée, a raconté la brutalité du rapt, « les jambes attachées à la moto, les coups de bâton sur les côtes », et la mise en scène filmée en vidéo où ses gardiens, plus amicaux, partagent biscuits et sodas avec les otages.
Comme chaque fois, la fonction, voulue par le Hamas, de boucliers humains a démontré son efficacité. Les États-Unis et la France pressent Israël de retarder son offensive terrestre. Comme chaque fois, un « gentil négociateur », en l’occurrence le Qatar qui abrite et protège chez lui les leaders du Hamas, se pose en aimable médiateur, histoire d’en tirer un bénéfice politique et diplomatique… Le troc.
La différence, cette fois-ci, est peut-être que le trauma et l’humiliation causés par l’offensive sanguinaire du Hamas sont tels que la population israélienne retient moins son dogme – « une vie juive est sacrée » – que la volonté de se venger, de punir Gaza et de détruire le Hamas dans l’espoir de mettre fin à la menace. Le prix des otages à ses limites.
Reste que la prise d’otages dans le monde a encore un bel avenir. La traite des humains a en effet ceci de particulier que son principe repose cyniquement sur les principes fondamentaux de la démocratie et la valeur que nous accordons à la vie d’un homme. Même d’un seul.