Oublier l’Ukraine ?
Poutine ne cesse de marquer des points dans le conflit qu’il a déclenché au centre de l’Europe. De guerre lasse, faut-il lui céder ? Ce serait miner la sécurité de tout un continent.
Une bonne nouvelle, qui en cache de très mauvaises. Neutralisant l’indigne opposition de Viktor Orban, les dirigeants européens ont annoncé l’ouverture de négociations sur la future adhésion de l’Ukraine à l’Union. Geste pour l’instant symbolique : les discussions dureront une décennie ou deux. Mais geste important : l’Europe démocratique affirme aux yeux du monde sa solidarité avec la nation agressée, qui partage ses valeurs et se bat pour sa liberté.
Les mauvaises nouvelles ? Celles qui viennent du front. Forte de sa tradition défensive et résiliente, l’armée russe a bloqué les contre-offensives ukrainiennes. Comme lors des grands conflits du passé, elle menace maintenant d’ouvrir des brèches dangereuses à l’est et au sud du pays, nées de la pénurie de munitions dont souffrent les combattants de Kiev. Vladimir Poutine en profite pour bomber le torse et exiger une négociation dont il dicterait les termes. Son aboutissement est connu d’avance : un nouveau Munich au 21ème siècle, c’est-à-dire le démembrement du territoire ukrainien, à la manière de celui qui avait détruit l’ancienne Tchécoslovaquie en 1938 et 1939, pour mener ensuite à la guerre mondiale.
On exagère ? Voire. Inquiète, occupée à des difficultés de toutes sortes, angoissée par la résurgence de la guerre sur le continent, l’opinion mesure mal l’enjeu du conflit ukrainien. Beaucoup se disent : après tout, pourquoi prolonger une guerre sans issue, quand on peut y mettre fin en abandonnant à Poutine des régions que les Européens de l’Ouest, de toutes manières, savent à peine situer sur une carte ? « Mourir pour Dantzig ? », écrivait Marcel Déat, ancien socialiste et futur collaborationniste, à la veille de l’attaque de Hitler contre la Pologne. « Mourir pour Donetz ? », pourrait écrire un défaitiste d’aujourd’hui, tels Guaino ou Villepin, avec le même bon sens apparent.
La réponse tient dans une anticipation qui n’a, malheureusement, rien d’invraisemblable. Vainqueur en Ukraine contre ces démocraties qu’il méprise et qu’il rend responsable de l’affaiblissement de l’empire russe, pourquoi Vladimir Poutine s’arrêterait-il à cette première conquête ? Si l’Europe cède sur le Donbass, pourquoi irait-elle se battre pour le reste de l’Ukraine ? Plus dangereux encore : enhardi par les reculades de ses ennemis, pourquoi Poutine s’abstiendrait-il d’attaquer un jour les pays baltes, eux aussi intégrés jadis à l’empire russe ? Avec ce risque à la clé : ces nations fragiles, acculées à la mer Baltique, sont membres de l’OTAN. Toute agression contre elles obligerait l’alliance occidentale à réagir par les armes. Autrement dit, pour mettre fin aujourd’hui à une guerre jugée mineure, les gouvernements de l’ouest encourageraient leur adversaire à se lancer demain dans un conflit majeur.
Les choses étant ce qu’elles sont, il n’est qu’une solution : soutenir l’Ukraine sans férir, lui fournir des munitions dont elle a besoin, quitte à faire tourner à plein les usines d’armement, et inciter, tout autant, les États-Unis à suivre cette ligne de conduite, la seule qui soit honorable. Le sort de la liberté européenne – c’est la tragique réalité qui s’impose à tous – se joue aux confins de la valeureuse Ukraine. À nous d’en tirer les conséquences.