Paix en Ukraine ?

par Laurent Joffrin |  publié le 29/08/2023

Ceux qui veulent s’entendre aujourd’hui avec Poutine proposent en fait de trahir un allié héroïque et d’accepter une défaite majeure pour les démocraties

Laurent Joffrin

Premiers doutes, premiers signes de lassitude devant le gel apparent des opérations en Ukraine. Aux États-Unis, plusieurs responsables et une partie de l’opinion expriment leur scepticisme envers la stratégie de Joe Biden. En France, les voix défaitistes, comme celle de Nicolas Sarkozy, sont plus fortes qu’auparavant.

La chose peut se comprendre : la guerre paraît s’éterniser sans résultat tangible, sinon des pertes humaines, des destructions immenses et des désordres planétaires lancinants. Les lignes de défense russes au sud et à l’est du pays semblent impénétrables en dépit de l’héroïsme des soldats ukrainiens à l’offensive ; le régime Poutine reste solide, surtout depuis la mort de l’incontrôlable condottiere Prigojine ; la situation qui prévaut sur le terrain rappelle certaines phases de la Première guerre mondiale, quand les belligérants s’épuisaient dans un combat d’usure sans issue visible.

Alors faut-il revoir la stratégie européenne et chercher dès maintenant les voies de la négociation ? Laissons de côté le discours munichois des agents conscients ou inconscients du Kremlin, qui proposent d’offrir à Poutine une victoire éclatante en croyant s’attirer ses bonnes grâces. Répondons aux citoyens de bonne foi qui s’inquiètent légitimement de la durée d’une guerre dont ils ne perçoivent pas la fin mais déplorent à juste titre le coût humain et matériel. 

Première remarque : serait-il honorable, raisonnable, de décider à la place des Ukrainiens de mettre fin aux combats, eux qui subissent les malheurs de la guerre, les morts, les blessés, le deuil des familles et la destruction de leurs villes quand elles sont à portée des canons russes, eux qui défendent leur patrie avec un courage qui force l’admiration générale ? On voit bien que non. Commencer à débattre dans leur dos des conditions de paix, alors même que Poutine ne donne pas le moindre signe de conciliation, c’est trahir un allié, abandonner un régime proche du nôtre qui ne demande qu’à coopérer avec nous au sein d’une Europe démocratique et pacifique.

Ce serait rétablir la paix ? À court terme, peut-être. Mais quel formidable encouragement pour l’agresseur russe et, plus largement, pour les régimes dictatoriaux qui nourrissent des ambitions territoriales, que de voir les démocraties mettre un genou à terre devant le conquérant ! Négocier par-dessus la tête des Ukrainiens pour livrer à Poutine une partie du territoire ukrainien et leur assigner, contre leur volonté, un statut de neutralité dont ils estiment qu’il ne les protègera pas, c’est décider la reddition sous couvert de compromis, au nom d’une soi-disant realpolitik qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez tremblant.

Car en fait, rien n’est joué. Le sort des armes n’est pas prononcé. Le brouillard de la guerre masque la situation exacte sur le terrain. Elle semble gelée : en est-on sûr ? Rien ne dit que la première ligne russe ne cédera pas, ouvrant la voie à une reconquête ukrainienne. Rien ne dit que si Poutine essuie d’autres échecs il pourra poursuivre la lutte comme si de rien n’était. Rien ne dit que le régime ne jugera pas, somme toute, les pertes subies trop coûteuses et ne cherchera pas une issue qui ménage les intérêts des Ukrainiens autant que les siens et débouche sur une paix équilibrée. Et qui est le mieux placé pour en juger, sinon les Ukrainiens eux-mêmes, dont il faut rappeler qu’ils ne font que se défendre ?

La victoire de Poutine serait un désastre, non seulement pour l’Ukraine qui se bat héroïquement, mais aussi pour la situation des démocraties dans le monde. Telle est le danger majeur qu’il faut avoir à l’esprit quand on agite, de manière inconséquente, des plans de paix qui ne sont que des projets de reddition.

Laurent Joffrin