Papaouté? L’enfer des mères seules
Pour 2,3 millions des familles, un seul des parents est présent, ce sont les mères qui gardent les enfants. Dans 82 % des cas. La plupart sont en grande difficulté. Et les enfants en pâtissent
Six heures du matin, dans la pénombre de sa chambre, Jeanne éteint le réveil qui vient de sonner. Elle se lève, prend sa douche, s’habille, prépare le petit-déjeuner. Il fait nuit. Jessica 6 ans et Kevin 4 ans, dorment encore. Elle les réveillera au dernier instant . À 7 h 30, elle les déposera, sac sur le dos, chez sa voisine, la mère de leurs copains de classe qui les emmènera à l’école avec les siens à …8 h 30.
Jeanne n’a pas le temps d’attendre, elle doit courir prendre son train. Après son divorce, elle a dû quitter la petite couronne parisienne où elle habitait avec son mari Pascal, pour déménager dans une banlieue de la grande couronne. Seule, le loyer était devenu trop élevé. Chaque jour, il lui faut compter une heure et demie de train, puis de RER avant d’accéder au métro qui la mènera à son bureau où elle doit arriver à 9 h. Quand tout va bien, s’il n’y a ni panne ni retard.
Mariée, Jeanne était cadre. Depuis sa séparation, elle n’a pas tenu le coup : trop de réunions trop tardives. Elle était contrainte de quitter trop tôt le bureau, pour s’occuper des enfants. Elle a accepté un poste d’assistante de direction dans une banque à Paris. Hormis son patron, la personne qu’elle fréquente le plus est la DRH : « Jeanne, vous avez encore été en retard aujourd’hui. Jeanne, il va falloir mieux vous concentrer, et respecter les horaires. » En vérité, Jeanne accepte mal son nouveau job et en cherche un autre, à sa mesure. Elle prospecte, multiplie les rendez-vous, ça lui prend du temps… Et elle n’y croit pas trop.
Le cas de Jeanne n’est pas une exception. Plutôt un cas banal, hélas. En France, 2,3 millions de familles sont monoparentales, soit 25 %, des familles françaises, en hausse de 5 % en dix ans. À 82 %, ce sont les mères qui gardent les enfants, 41 % d’entre eux, vivent en dessous du seuil de pauvreté, 37 % dans un logement social. Un tiers de ces parents, seuls, n’a pas d’emploi…comment rebondir quand il faut jongler avec les horaires, récupérer les enfants chez l’assistante maternelle bien après la sortie de l’école, faire les courses, préparer les repas. Sans compter les jours où les enfants sont malades, où il faut rester à la maison pour les garder.
Dans ces conditions, les enfants trop souvent laissés à eux-mêmes cèdent au pire. 60 % des mineurs présentés à la justice lors des émeutes consécutives à la mort de Nahel étaient issus de familles monoparentales ? « Il y a très peu d’associations, aucune aide n’est proposée… on se sent isolé. Seules les PMI (Protection maternelle et infantile) proposent des rencontres avec d’autres parents » témoignent nombre de mères de famille qui n’en peuvent plus. On en a vu pendant les émeutes « sortant dans la rue, le soir, pour récupérer leurs enfants et les remettre dans le droit chemin.«
Où est le second parent, souvent le père ? « Les pères ne peuvent pas se résumer à une pension alimentaire », s’insurge Aurore Bergé, ministre des Solidarités et de la Famille ,qui veut s’attaquer vigoureusement au problème.
Ces parents , ces femmes vivent avec l’aide cruciale des minima sociaux, bénéficient d’allocations logement et familiales. Mais, elles demandent de l’aide pour leurs relations avec l’école, pour que leurs enfants sentent le poids d’une autorité. Pour Noël, elles reçoivent une prime augmentée de 35 % à… 152, 40 €. Une misère.