Parler clair avec la Chine
Tout dirigeant responsable doit dialoguer avec les dirigeants chinois. À condition de ne pas passer sous la table.
Recevoir Xi-Jinping à Paris ? Soit. Le général de Gaulle avait décidé dès 1966 l’établissement de relations diplomatiques avec la Chine, qui était à l’époque celle de Mao, l’un des régimes les plus répressifs de l’histoire. « La Chine est une chose gigantesque, dit le Général, apôtre du réalisme international, elle est là, il faut être aveugle pour ne pas le voir. » Richard Nixon et Henry Kissinger lui ont emboîté le pas six ans plus tard, espérant favoriser un règlement honorable au Viêtnam. L’importance de la Chine ayant entretemps décuplé, l’impératif n’a pas changé. Parler avec le chef de la deuxième économie de la planète, présente partout et animée d’ambitions commerciales insatiables, c’est un devoir. Dans le monde réel, Pékin est un interlocuteur : il est légitime de dîner avec le diable. La seule question qui vaille est la longueur de la cuillère qu’on utilisera.
Toujours dans le monde réel, indépendamment des indignations et des convictions, c’est un fait que la Chine est l’autre grande ennemie de la démocratie. Moins agressive que la Russie, qui a choisi la guerre, mais néanmoins menaçante, intransigeante à Hong-Kong, dangereuse pour Taïwan, avide en Afrique, agressive en économie, dotée de l’arme nucléaire et d’une armée colossale (en effectifs). Elle est décidée à devenir la première puissance mondiale, soutenue par une longue mémoire qui tient son ascension comme la juste revanche de la période coloniale, quand les puissances occidentales ne cessaient d’humilier et de rançonner « l’empire du milieu ».
Idéologie hybride
Appuyés sur une idéologie hybride, qui mêle l’exubérance capitaliste et la cruauté totalitaire d’un parti communiste exclusif et sans pitié, les dirigeants chinois opposent aux régimes de liberté le modèle d’une dictature nationaliste qui conjugue l’héritage stalinien et maoïste avec l’efficacité impérieuse du capitalisme sauvage, le tout au service d’une volonté de puissance sans limites. Les forces dissentes sont réprimées sans nuance, les minorité religieuses ou ethniques sont comprimées et martyrisées, la pensée est en cage et le débat politique monopolisé par les mystérieux courants internes au parti, qui luttent pour le pouvoir dans l’ombre, derrière une façade uniforme et une propagande de tous les instants, contrôlée étroitement par un empereur en costume gris.
Dès lors, on ne comprendrait pas que le président français, dirigeant une nation démocratique à la longue tradition, reste muet devant ces atteintes incessantes au droit des gens et inerte pour défendre les valeurs qui fondent la République française. Reçu au Kremlin sous Tchernenko, François Mitterrand avait cité à dessein le nom de Sakharov dans son discours. Ce serait une cuisante déception de ne pas entendre Emmanuel Macron évoquer, même dans un langage diplomatique, la situation des dissidents chinois, le calvaire des Ouighours et l’indépendance nécessaire de la démocratie taïwanaise.