Pas vu, pas pris

par Bernard Attali |  publié le 08/05/2023

Inflation, grandes fortunes, politique fiscale ou salaires des grands patrons…les excès d’en haut ne passent plus en bas

Bernard Attali ( D. R)

L’inflation est là. Elle va durer. Les économistes nous ont donné toutes les explications possibles : la relance de la consommation post Covid, la guerre en Ukraine, le laxisme de la politique monétaire, la hausse des taux, la fragmentation du commerce mondial… Beaucoup n’ont pas vu venir l’augmentation des marges décidées par les grandes entreprises.

On le réalise aujourd’hui clairement, en particulier dans l’alimentation : les coûts de l’énergie et des matières premières sont stabilisés, mais les prix ont augmenté de 15 % le mois dernier. Alors qu’elles furent massivement soutenues sur fonds publics pendant la crise les grandes entreprises – pas les PME – engrangent sans mesure. Pas vues pas prises.


Du côté des grandes fortunes, même excès. On doit se féliciter que le pays ait ses milliardaires. Sauf quand ils échappent au devoir de solidarité. Les 370 premiers foyers fiscaux ne paient que 2,5 %. La classe moyenne , elle, paie entre 30 et 40 %. Tous les contribuables fortunés qui reçoivent des dividendes importants les logent dans des holding familiales… qui ne sont pas taxées.

L’État persiste dans son refus d’instaurer une politique fiscale un peu plus équitable alors que tout le monde sait vaine la fameuse théorie du ruissellement. Quant à revoir la taxation de l’héritage, vous n’y pensez pas ! Les uns s’entêtent. Les autres en profitent. Pas vus pas pris.
Même la banque de France a fait ce constat en regrettant notre immobilisme en matière fiscale. Chacun sait qu’on y trouve un repère de gauchistes !

Il est enfin normal que les grands patrons français -souvent talentueux- soient bien rémunérés. Mais quand leurs salaires dépassent (en moyenne du CAC) plus de 100 fois celui de leurs employés… il y a comme un problème. Et quand, l’an dernier, en pleine période de crise, on les voit se faire augmenter de 50 % le problème devient provocation. Pas vus pas pris ?

Comment convaincre les Français que notre système de redistribution est un des plus généreux au monde quand on leur offre un tel spectacle ? Il y a quelques années, patron d’Air France, j’étais le 50e salaire de l’entreprise et il ne me venait pas à l’idée de m’en plaindre.

En France, la crise de la retraite n’a été que « l’étincelle qui a fait déborder le vase » comme disait P. Dac. Elle a pris de l’ampleur parce que le pays est à fleur de peau. Les Français sont moins irréfléchis qu’on ne le dit. Ils savent au fond d’eux-mêmes que l’inégalité sociale est une donnée du monde et que cela ne changera pas de sitôt.Ils savent que la machine économique repose sur des entreprises profitables. Mais les excès d’en haut ne passent plus en bas.

Ceux qui abusent du « pas vu pas pris » font une grande erreur. Ils risquent de le payer très cher.

Bernard Attali

Editorialiste