Pascal Canfin : « Le RN est l’idiot utile des puissances pétrolières »

par Valérie Lecasble |  publié le 09/12/2023

Que fait le RN au Parlement européen ? Rien. Ou pas grand-chose, répond Pascal Canfin, Président de la Commission Environnement, sinon jouer les idiots utiles des puissances de l’argent et rejeter systématiquement tous les projets européens même s’ils vont dans le sens de leurs électeurs…

Pascal Canfin- Photo Joel Saget- AFP

-LeJournal.info : Marine Le Pen et 26 personnes du Rassemblement National sont renvoyées en correctionnelle pour soupçon d’emplois fictifs d’assistants parlementaires européens ?

Pascal Canfin : C’est à la justice de se prononcer sur la fraude éventuelle concernant l’utiisation de l’argent de l’Europe pour financer le fonctionnement du parti. Ce qui est certain, et je peux en témoigner comme parlementaire européen, c’est que les eurodéputés RN ne sont pas au Parlement pour travailler. Ils sont absents de toutes les négociations. Ce sont largement des députés fictifs !

Quel est son bilan au Parlement européen ?

Contrairement à ce qu’il dit, le Rassemblement National a un passé et un bilan au Parlement européen. Celui de Jordan Bardella, député européen depuis 2019. En voici quelques exemples.

1/ Le RN n’a pas voté l’aide financière à l’Ukraine, y compris après le déclenchement de l’opération terrestre de la Russie. En cela, il a clairement mené une politique pro-Poutine même après le début de l’invasion.

2/ Non seulement le RN n’a pas voté la loi Climat de mise en œuvre de l’accord de Paris, mais il a voté une motion de rejet avec une position radicalement climato-sceptique, semblable à celle de Donald Trump.

3/Le RN n’a pas voté la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Elle permet pourtant entre autres de taxer les importations et de lutter contre le dumping climatique des Chinois.

4/ Le RN n’a pas voté pendant le Covid le plan de relance de 750 milliards d’euros, un montant colossal qui s’est traduit en France par le « quoi qu’il en coûte » et qui a permis de sauver des dizaines de milliers de petits commerçants et des artisans.

C’est donc un bilan Zéro, y compris par rapport aux attentes de l’électorat du RN qui cherche à se protéger contre les effets de la mondialisation.

Pourtant, avec un score de 28 %, Jordan Bardella caracole en tête des sondages pour les prochaines élections européennes ?

C’est aussi parce que personne ne connaît son bilan. Nous allons le faire connaitre pendant la campagne. Par exemple, en refusant toute action sur le climat, il est le meilleur allié des Pays du Golfe. Le RN est l’idiot utile des puissances pétrolières : il contribue à faire en sorte que l’argent continue d’affluer vers des pays qui ne se gênent pas pour financer l’islam radical dans le monde.

Contrairement à ce qu’ils veulent faire croire, ils contribuent de fait à la propagation de l’islam radical qu’ils sont censés combattre.

Pourquoi une démarche aussi contradictoire ?

Elle est dictée par une idéologie anti-européenne primaire et basique, mais ripolinée par le discours officiel de la normalisation. Il suffit de creuser un peu pour s’apercevoir que le RN est systématiquement contre toute politique européenne. Au point de même voter contre la directive sur l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Leur sentiment anti-européen est tellement fort qu’ils votent même contre des idées qu’ils devraient approuver.

On dit que Jordan Bardella n’est pas très présent au Parlement ?

Il est totalement absent des débats. Sauf lors des séances plénières où il vient voter. Il ne négocie aucun texte. Le RN ne pèse sur rien puisqu’in fine il vote contre, y compris pour des solutions… qui durcissent les politiques migratoires européennes.

Vous parlez du pacte asile et migration ?

 Oui, il s’agit d’un grand paquet de cinq textes européens qui durcit le jeu sur les flux migratoires et doit rendre plus performantes les règles d’accueil dans tous les pays européens, notamment les plus exposés comme l’Italie, l’Espagne ou la Grèce. Car une fois la frontière européenne franchie, tout est plus compliqué. L’enjeu est donc de faire respecter le droit. On accueille ceux qui ont le droit d’être accueillis, notamment au nom du droit d’asile, et on se donne le droit de ne pas accueillir ceux qui ne peuvent pas l’être.

L’enjeu est de faire respecter les frontières ?

Oui. Et pourtant, le RN a voté contre. Alors qu’après un an au pouvoir, Giorgia Meloni en Italie et ses alliés d’extrême-droite –  y compris les députés de la Ligue, très proches de Marine Le Pen-  ont tous voté le pacte asile et migration. En dehors des postures, la solution c’est l’Europe. À l’évidence.

Le RN, plus dur que les durs ? Quel est son intérêt ?

Le RN se nourrit seulement des problèmes et des dysfonctionnements. Hypocrite, il se prétend normalisé. Marine Le Pen cherche à gommer les clivages qui la ramèneraient à son histoire d’extrême-droite. Nous publierons prochainement le « livre noir » du RN au Parlement européen pour révéler cette hypocrisie. Par exemple, qui sait que le RN a voté contre le fait de déclarer l’Europe une zone de liberté pour les personnes homosexuelles ? On est loin de la normalisation…

Au pouvoir comme en Italie, en Suède, en Hongrie et maintenant aux Pays-Bas, l’extrême-droite ne prétend plus sortir de l’Europe, mais chercherait plutôt à l’infiltrer ?

 Oui.  On est à un moment de l’histoire où on a commencé à construire une « Europe puissance », comme avec le plan de relance historique de la période du Covid qui a sauvé des millions d’emplois en Europe. On a été le continent qui a produit le plus de vaccins, vacciné le plus de monde pour sortir le plus vite de la pandémie. Alors que le RN voulait qu’on achète… des vaccins chinois et russes. Le RN est le parti de la soumission : aux puissances du Golfe pour l’énergie, à la Russie pour la géopolitique, à la Chine pour les vaccins.

Oui l’extrême-droite peut affaiblir à tel point l’Europe de l’intérieur qu’elle la détruirait. Là est l’enjeu numéro un des élections européennes. Construire l’ « Europe puissance » ? Ou connaître un coup d’arrêt qui fragmentera l’Europe de l’intérieur ?

Donald Trump, Javier Milei en Argentine, Geert Wilders aux Pays-Bas… une fois élus, les populistes sont vent debout contre l’écologie…

C’est un phénomène nouveau, en quelque sorte l’importation du trumpisme en Europe. Il gagne à présent les extrême-droites européennes, l’AFD en Allemagne, le RN en France, VOX en Espagne, etc. Dans son ADN, le Trumpisme est antiécologique. Les mouvements d’extrême-droite sont en train de copier son logiciel, le trumpisme européen se répand. Un poison, que je combats évidemment.

Quel bilan tirer de la COP 28 ?

Il y a deux bonnes nouvelles. La première est que nous sommes enfin en train de respecter, avec trois ans de retard, les fameux 100 milliards de dollars par an que l’on a promis de donner aux pays pauvres pour accompagner leur transition écologique. La deuxième, c’est la création d’un fonds inédit pour financer les pertes et dommages des pays les plus touchés par les changements climatiques, à condition qu’ils soient pauvres. La ligne rouge fixée par les États-Unis a sauté. Quant à l’Europe, elle acceptera de financer dès que la Chine le fera également.

Et sur le nucléaire ?

Ce qui est intéressant à noter, c’est que même dans la mouvance écolo, les lignes bougent. Les partis verts se sont historiquement construits contre le nucléaire et les anciens ne changeront pas. Mais les jeunes générations sont beaucoup moins antinucléaires que leurs aînés. À titre d’exemple, les verts en Finlande sont devenus pronucléaires. J’invite sur ce sujet les verts à sortir de l’idéologie.

Nous fêtons aujourd’hui les quatre ans du « Pacte vert » ( Green Deal) qui doit réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre le zéro carbone en 2050… Bilan ? 

Quatre ans après sa signature, on aura délivré 80 % des ambitions du Pacte vert. C’est considérable. Dans les Hauts de France, ma région, la « vallée de la batterie » est en train de créer des milliers d’emplois industriels verts. C’est le résultat du Green Deal. Un nouvel espoir pour toute une région !
C’est tout l’objet de la bataille des élections européennes : je refuse de voir détricoter par le RN tout ce que nous avons bâti à l’instar de la réindustrialisation de cette région qui me tient à cœur. Mon terrain d’action, c’est l’Europe. Voilà pourquoi en juin 2024, mon intention est de participer pleinement à la campagne pour poursuivre ce que nous avons fait depuis 2019.

Stéphane Séjourné, le Président de Renew au Parlement européen, conduira-t-il la liste de la majorité présidentielle ?

Il est le candidat naturel pour rassembler la majorité. Il a déjà fait un pas en avant dans cette direction et je le soutiens.

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique