Patrice Claude : mort d’un reporter-gentleman
Ancien grand-reporter au journal Le Monde, spécialiste du Moyen-Orient, à la fois brillant et discret, Patrice Claude est mort à 75 ans dans sa maison du sud de la France.
S’il est un homme à qui on peut sans sourire faire porter le titre de grand-reporter, c’était lui. Capable de sillonner et de creuser le terrain et d’en extraire la leçon, l’intelligence des faits, la vie.
Évidemment, il était un des meilleurs spécialistes du Moyen-Orient, mais pour moi il était d’abord un bonheur de compagnon en reportage doublé d’une joie à lire ses reportages. Bel homme, des cheveux et une barbe de jeune, toute blanche, et surtout des yeux bleus, pétillants, chaleureux, un gamin, toute sa vie, avec une fraicheur intacte. Rare.
Il était coutumier de fausses colères, l’œil rigolard, drôle, incisif. Et de vraies colères aussi pour tout ce qu’il ne supportait pas, le mensonge, l’injustice, la médiocrité ? Devenu spécialiste d’Israël qu’il connaissait sur le bout du stylo, il était parti là-bas un jour sans à-priori, carnet vierge, pour s’immerger. Avec le temps, il en était ressorti trempé, indigné, en colère. Et ses articles clairs et directs lui avaient valu, comme à d’autres, les diatribes de ceux qui veulent imposer leur idéologie à la réalité des faits.
Et quand l’Irak avait sombré dans un grand trou noir de l’information, que le pays était si dangereux mais si peu couvert, Patrice faisait régulièrement le voyage pour dire ce que les autres n’avaient plus envie d’entendre. Il n’en tirait nulle vanité. Chez ce genre d’homme, la fierté n’a rien à voir avec l’ego des mondains de l’info.
Patrice s’était retiré. On lui disait : « écris des articles, des livres, tu as tellement de choses à dire. Il riait, voire se fâchait. Sa maison dans le sud, son jardin, son foyer, ceux qu’il aimait, la beauté du monde, là résidait l’essentiel. Pour le reste, il avait dit ce qu’il avait à dire dans ses papiers, voilà tout.
Vous lirez ici ou là sa biographie, son parcours professionnel, ses livres, je n’ai pas le cœur à le faire.
Reste un homme, un vrai, hélas mortel, un homme qui a accompli son destin de mortel comme disaient les Grecs anciens. Et il est parti trop vite en emportant avec lui quelque chose de nous. Nous laissant infiniment tristes. Tout le reste est accessoire.