Patrick Maisonneuve : les politiques ne sont pas contents ? Qu’ils changent la loi !
Inéligibilité, exécution provisoire : l’avocat de la partie civile qui défend le Parlement européen contre Marine Le Pen incite les parlementaires à changer les lois plutôt que de réclamer qu’on ne les applique pas.
Vous êtes l’avocat du Parlement européen qui, sous la houlette de Martin Schulz, président de l’époque, avait porté plainte contre les emplois fictifs du RN. Vous attendiez-vous à de telles réquisitions ?
En mars 2015, le Président du Parlement européen a saisi l’autorité judiciaire française des indices importants qu’il avait à l’encontre du RN quant à la réelle activité de ses assistants parlementaires. Dans ces conditions, le Procureur de Paris a ouvert une enquête puis une information judiciaire. L’enquête a démarré et le Parlement s’est porté partie civile en 2017 quand les juges d’instruction ont été saisis, ce qui a conduit au renvoi de Marine Le Pen et d’autres membres du Rassemblement National devant le Parquet de Paris.
L’objectif était la préservation des droits du Parlement européen, à la suite de la suspicion de détournement de fonds qui s’est révélée fondée. Personne n’avait alors à se poser la question de savoir dans quoi il allait s’embarquer. Le seul motif était de préserver les intérêts du contribuable européen.
L’exécution provisoire requise par le Parquet provoque un séisme. Vous-même avez dit que vous n’y étiez pas favorable…
En tant qu’avocat, je suis hostile par principe à l’exécution provisoire car je crois qu’il faut laisser la possibilité aux personnes poursuivies et condamnées d’aller devant la cour d’appel. Or, avec une exécution provisoire, le recours devient moins effectif. Je ne dis pas cela pour critiquer le Parquet mais seulement parce que c’est une position de principe. Je n’ai pas à me prononcer sur la peine, même si je souhaite que les prévenus soient déclarés coupables.
Ce que je souhaite avant tout, c’est récupérer les 4,5 millions d’euros qui ont été détournés. Concernant la peine pénale, qui inclut la prison et l’amende, elle est à l’appréciation du Tribunal. Ces 4,5 millions d’euros sont une somme significative pour le contribuable européen.
Certains jugent disproportionnée la peine requise, considérant qu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel mais seulement détournement d’affectation de fonds ?
Personne n’a jamais évoqué d’enrichissement personnel. Et il s’agit d’un détournement de fonds publics et non d’un détournement d’affectation de ces fonds. Quelqu’un reçoit des fonds publics qu’il doit affecter à une mission précise et il les affecte à autre chose, c’est un détournement de fonds. Ces fonds ont été alloués par le Parlement européen pour que les élus puissent exécuter leur mandat, en employant des assistants parlementaires qui doivent travailler obligatoirement pour leur employeur avec lequel ils ont signé un contrat de travail de droit privé. Il leur est strictement interdit de les utiliser pour un parti politique.
Il y a là en outre une violation de la loi française sur les partis politiques qui interdit de se faire financer par des sociétés et des institutions extérieures. Le Parlement européen ne peut pas financer des institutions en Europe et encore moins en France où la loi prévoit qu’ils bénéficient d’une dotation publique de la part de l’Etat qui est déterminée en fonction du nombre de leurs parlementaires élus en France.
L’inéligibilité était automatique sauf improbable décision motivée ?
La poursuite concerne les faits qui se sont produits dans une période qui va de 2004 à 2016 et qui sont donc sous le coup de la loi Sapin de 2016. A ce titre, s’il n’y avait pas eu d’inéligibilité, il y aurait eu l’obligation de motiver la raison pour laquelle elle n’était pas requise. L’inéligibilité est en effet une peine complémentaire qui n’est pas obligatoire mais elle est automatique sauf s’il est possible de motiver la raison pour laquelle elle ne peut pas être appliquée.
On a donc choisi de l’appliquer…
Pour avoir suivi le procès depuis le début, je n’ai aujourd’hui aucun doute sur l’inéligibilité. Concernant l’exécution provisoire, même si les commentaires laissent croire que le Tribunal s’orientera de la même façon que les réquisitions, les juges peuvent décider de ne pas l’ordonner, en ne retenant pas les arguments invoqués par le Parquet. Je tiens à rappeler que les peines d’inéligibilité sont courantes en France. Aujourd’hui, pour toute prise illégale d’intérêt, des élus sont déclarés inéligibles. Tout comme un avocat qui serait condamné récolterait d’une interdiction professionnelle. C’est pareil pour les experts comptables. Cela n’a rien d’exceptionnel.
Les Français risquent d’avoir du mal à comprendre que la justice élimine une candidate à la présidentielle…
C’est en effet la particularité de ce procès, de priver 11 millions d’électeurs de leur candidate à l’élection présidentielle. Le Tribunal sera-t-il ému par cette perspective ? On verra. Une fois encore, on raisonne comme si la décision avait été prise alors qu’il s’agit d’une réquisition du procureur. À la différence des emplois fictifs du Modem, on ne parle pas d’un détournement de 300 000 euros mais de beaucoup plus : 4,5 millions. De même, le système du Modem n’était pas centralisé et organisé comme l’était celui du RN.
Marine Le Pen pourrait-elle concourir à l’élection présidentielle de 2027 en cas d’exécution provisoire ?
Les plaidoiries de la défense se terminent dans deux semaines pour une date de délibéré au mois de février ou mars. Ensuite, il y a l’appel et le pourvoi en cassation. Avec le délai judiciaire, Marine Le Pen ne pourrait pas se présenter à l’élection présidentielle de 2027, sauf si la Cour d’appel décidait de supprimer l’exécution provisoire.
Comprenez-vous le procès en politisation intenté aux juges ?
Il est incompréhensible qu’on fasse un procès aux juges sous prétexte qu’ils appliquent la loi qui a été faite par les politiques qui leur font le procès. Lorsqu’il y a une infraction de 100 ou 200 euros, le Rassemblement National demande une peine complète et immédiate. Ce qui revient chaque jour, à réclamer l’exécution provisoire des peines.
Mal comprises par l’opinion publique, les affaires judiciaires font le lit du populisme comme le prouve l’élection de Donald Trump ?
Si les politiques ne sont pas d’accord avec la réquisition du Parquet, ils peuvent tout à fait déposer une proposition de loi supprimant l’inéligibilité et/ou l’exécution provisoire. Les magistrats font leur métier, ils appliquent ce qui est écrit dans la loi. Si les parlementaires ne sont pas contents, ils n’ont qu’à changer la loi. Le Rassemblement National peut tout à fait déposer une proposition de loi et demander la suppression de la peine d’inéligibilité.
Nous irions alors vers une situation où les hommes et les femmes politiques seraient les seuls dans notre pays qui ne pourraient avoir de peine complémentaire, alors qu’elle existe dans toutes les autres professions. Qu’ils fassent la proposition, qu’ils aillent jusqu’au bout !
Ce serait la guerre entre les politiques et les juges ?
Plutôt la guerre entre les citoyens et la politique. Car on s’apercevrait que les politiques cherchent à se sortir des affaires. Ils ne vont quand même pas s’auto-amnistier !
Propos recueillis par Valérie Lecasble