Patrick Mennucci : Une seule solution, Cazeneuve !

par Valérie Lecasble |  publié le 22/11/2024

Si le gouvernement Barnier tombait, ce serait au tour de Bernard Cazeneuve d’accéder à Matignon, estime le mandataire national du texte « Debout les socialistes » conduit par Hélène Geoffroy, qui réclame le départ d’Oliver Faure de la tête du PS. Pour stabiliser le pays, le nouveau Premier ministre devrait alors s’entendre avec le bloc central sur un programme d’une dizaine de points, dont le cœur serait une conférence salariale tripartite.

Patrick Mennucci, membre du Parti socialiste (PS) et ancien député.

Jean-Luc Mélenchon prédit que Michel Barnier sera renversé entre et 15 et le 21 décembre. Êtes-vous de son avis ?

Le renversement de Michel Barnier est une hypothèse sérieuse mais pas certaine.
Jean-Luc Mélenchon organise le chaos, ce qui l’intéresse est d’amener le pays à une situation ingouvernable en espérant que le président de la République sera obligé de démissionner.

Ce n’est pas l’avis de tous. Des constitutionnalistes nous disent qu’il est tout à fait possible de renommer le même gouvernement et de continuer avec un système budgétaire où on peut continuer à lever les impôts. Quant au Nouveau Front Populaire, il ne partage pas forcément la stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui impose sa position par voie médiatique. Il est normal d’attaquer un gouvernement comme celui de Michel Barnier. Mais il faudrait aussi discuter de l’après-Barnier, plutôt que de laisser le pays s’enfoncer dans la crise.

Le RN votera-t-il la motion de censure ?

C’est une possibilité. Le RN n’a aucun intérêt à être associé à la politique hyper-réactionnaire du gouvernement Barnier vis-à-vis des classes moyennes et populaires, celles qu’il prétend à tort défendre. Même si c’est moins vrai pour Jordan Bardella qui est dans un libéralisme économique total.

Et les socialistes ?

Le groupe socialiste a décidé de voter cette motion de censure, pour la simple raison qu’il ne peut pas approuver le budget de Michel Barnier. Ce budget va être repoussé et le gouvernement aura recours au 49-3 pour le faire passer malgré tout. Dès lors, la seule réponse possible sera le vote de la motion de censure. Ce sera un acte politique pour répondre à un gouvernement qui n’a pas rempli son rôle. N’oublions pas que pour renverser le gouvernement, il faut les voix du RN. Ce sont eux qui prendront cette responsabilité en votant avec la gauche.

Décidemment, le RN vote souvent avec le NFP, comme pour de nombreux amendements du budget…

Le NFP peut inclure dans le texte de la motion de censure des éléments qui inciteraient le RN à ne pas la voter. Mais le NFP l’a déjà fait et le RN a tout de même voté. Le RN s’est parfois joint au NFP afin d’apparaître un défenseur des classes populaires, ce qu’il n’est pas.

Quand le NFP a proposé 75 milliards d’impôts, il n’y a pas eu de dissidence socialiste ?

C’est le groupe socialiste qui a proposé, discuté et fait voter le plus d’amendements : plus de 70. Ceci sous la houlette d’excellents députés qui ont fait un travail politique et parlementaire sérieux, comme Philippe Brun, Colette Capdevielle, Christine Pirès-Beaune et d’autres. Leur expérience de la pratique parlementaire leur a permis de faire voter de nombreux amendements qui ont été soutenus par d’autres groupes.

Tout cela a mené à un budget inapplicable dont Eric Coquerel a récupéré le bénéfice médiatique…

Ne surestimez pas le sentiment des Français à l’égard de ce débat, incompréhensible pour eux. C’est vrai que le NFP a proposé 75 milliards d’euros d’impôts au total. L’objectif n’était pas de produire un budget soutenable, mais un budget de démonstration, afin de montrer à telle ou telle catégorie qu’il les soutient. Ce n’est pas un budget qui montre une volonté de gouverner mais un budget qui consiste à faire de la politique.

Était-ce la bonne posture de la part des socialistes de s’associer à une si lourde facture ?

Dès lors qu’en septembre on a refusé de nommer un Premier ministre de gauche avec Bernard Cazeneuve à Matignon, nous sommes entrés dans un tobogan. Personne n’est capable de dire sur quoi portent les 75 milliards d’impôts. Mais qu’importe, puisque chacun sait qu’ils ne s’appliqueront pas ! Quand il n’y a pas de sanction, on peut faire n’importe quoi.

Nous sommes dans une théâtralisation de la vie politique, à laquelle le PS a participé comme acteur, parce qu’il était contraint de le faire pour exister dès lors qu’il a refusé un processus de discussion avec le bloc central. Ceci a favorisé le chaos. Mais si Barnier tombait, le PS devrait se demander comment gérer le pays jusqu’à la présidentielle.

En réalité, le NFP n’existe plus.

La crise politique serait dangereuse ?

Elle ne serait pas plus dangereuse qu’un gouvernement Barnier qui ne fait rien. La seule solution serait de nommer un gouvernement de coalition, qui s’appuie sur des négociations préalables avec ceux qui, au sein du NFP, souhaitent discuter avec le bloc central. Sinon, effectivement, on entrerait dans une période très dangereuse. La bonne solution consisterait à nommer Bernard Cazeneuve et à faire évoluer la tradition parlementaire. Le Premier ministre prendrait une quinzaine de jours pour élaborer un programme politique avec les partis qui le veulent. Ils se mettraient d’accord sur une dizaine de points qui font consensus, comme la Santé, les Services publics, et surtout le Pouvoir d’achat. Sur ce dernier point, le plus essentiel, on pourrait annoncer la tenue d’une conférence salariale tripartite incluant le patronat, les syndicats et l’Etat. Ce qui aurait l’avantage de ne pas peser sur le budget de l’Etat.

Plutôt que des impôts supplémentaires, une hausse de 10 % du salaire minimum pourrait être proposée. Le pouvoir d’achat est la question cruciale pour stabiliser le pays, et la priorité pour y parvenir est l’augmentation des salaires qui aura des conséquences automatiques sur la fiscalité. D’autres sujets de consensus peuvent être abordés tels que la fin de vie, les déserts médicaux, l’aide aux familles monoparentales et aux femmes seules qui élèvent des enfants ? Ce sera à Bernard Cazeneuve de faire émerger ce consensus.

Mais Emmanuel Macron a refusé de nommer Bernard Cazeneuve au prétexte qu’il serait censuré ?

Emmanuel Macron est au pied du mur. Il sait qu’il ne peut plus échouer s’il ne veut pas être acculé à démissionner. S’il renomme Barnier, il subira une nouvelle motion de censure après Noël. En revanche, Bernard Cazeneuve à Matignon pourrait obtenir le soutien d’une grande partie du NFP. Et même LFI pourrait-il voter une motion de censure pour faire tomber un gouvernement qui propose une augmentation des salaires et du SMIC ? Si les questions posées font consensus, ils seront en difficulté pour s’y opposer.

Du coup, la droite et le RN seuls ne pourront pas censurer Bernard Cazeneuve, surtout si sa politique défend les classes populaires, qu’ils prétendent eux-mêmes soutenir. C’est par le projet politique et pas par la tambouille que l’on peut y arriver. En nommant Cazeneuve, guidé par l’intérêt du pays, on ferait un bond moral à l’Assemblée nationale, qui essaiera de faire pour le mieux, plutôt que d’avoir recours au 49-3.

Cela permettrait aussi à la gauche de se préparer pour la présidentielle et d’éviter d’avoir Marine Le Pen comme présidente de la République. Rappelons que les sondages la mettent à 30 points devant en cas de second tour face à Jean-Luc Mélenchon. Juste parce qu’il veut sa campagne électorale, Mélenchon pousse la France dans les bras du Rassemblement National. Il est temps de s’extraire de la politique à la petite semaine pour tracer un chemin dans l’intérêt du pays. Les socialistes ont toujours été ceux qui ont fait passer la République avant toute autre considération.

En septembre, les socialistes – même François Hollande – ont été plus que timides dans leur soutien à Bernard Cazeneuve ?

L’expérience Barnier montre à tout le monde que la situation nécessite un sursaut.
Si François Hollande n’a pas été l’animateur du soutien à Bernard Cazeneuve pour être nommé Premier ministre, il n’aurait jamais voté de motion censure contre lui. Je me réjouis que François Hollande et Bernard Cazeneuve partagent une véritable amitié. Leurs personnalités sont différentes mais ils sont tous les deux d’accord pour sauver le pays.

Mais le NFP continuerait de soutenir Lucie Castets…

Lucie Castets ne peut pas être nommée. Ce serait un retour à la théâtralisation de la vie politique. Déjà, les écologistes et les communistes disent que sa candidature n’est pas intangible, seul LFI continue de la soutenir. En réalité, le NFP n’existe plus. La séparation a été faite dans les profondeurs du Parti Socialiste car les maires ont compris qu’ils sont dans le viseur de Jean-Luc Mélenchon. Il y a eu une réunion du PS sur les élections municipales et la position a évolué à l’égard de LFI, même chez les acteurs historiques de la Nupes et du NFP, depuis qu’ils savent qu’aux prochaines municipales, ils vont se voir opposer des candidats de LFI. Mélenchon a décidé de présenter des candidats dans toutes les villes où son score a devancé celui de Raphaël Glucksmann aux élections européennes. Cet affrontement est préjudiciable à la gauche, alors qu’ils n’attaquent pas les villes de droite. Ils visent Marseille, principalement, mais pas seulement. Ils agressent aussi les socialistes qui soutiennent Olivier Faure et même les communistes, comme en Seine Saint -Denis et dans le Val de Marne.

A quinze mois des élections municipales, le NFP existe-t-il encore ?

Les maires socialistes ne gèrent pas leur ville tous les jours en excommuniant le centre. Ils ont souvent à leurs côtés des personnalités de la société civile qui ne viennent pas du PS ou du PC, ce qui est localement normal. C’est une chose de brandir un drapeau palestinien à l’Assemblée Nationale, c’en est une autre d’avoir des responsabilités dans une grande ville. En tout cas, l’agression de LFI contre les municipalités PS et PC mettent, de fait, un terme au NFP.

Comment faire subsister le NFP à l’Assemblée Nationale quand les candidats s’affrontent dans tout le pays, dans les villes et donc dans les circonscriptions. Des députés LFI se préparent à conduire des listes contre des maires de gauche alors qu’ils ont été élus avec nos voix comme Sébastien Delogu à Marseille, Marie Mesmeur à Rennes, Nathalie Oziol à Montpellier ou Gabriel Amard à Villeurbanne.

Reste la possibilité d’un gouvernement « technique »…

Le gouvernement technique serait un gouvernement tactique qui continuerait à tambouiller sans prendre en compte l’avis des Français. On passerait alors de la technocratie macroniste à une technocratie transpartisane qui ne serait pas plus apte à faire passer un budget ou à convoquer une conférence salariale. Il n’est défendu que par ceux qui persistent à s’opposer à la nomination à Matignon de Bernard Cazeneuve sans oser le dire. Quand on a des convictions socialistes, on doit aider les Français. Si on n’avait pas refusé à Bernard Cazeneuve la chance de gouverner le pays, on n’en serait pas là aujourd’hui. Certains socialistes persistent à croire qu’il est plus confortable de ne pas être aux manettes. Ils disent que les électeurs pourraient nous sanctionner aux municipales. Je suis au contraire convaincu que Bernard Cazeneuve a les atouts pour régler la situation. Et que les Français nous en voudraient de ne pas faire ce que nous savons faire.

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique