Paysans : les révoltes des croquants

par Pierre Feydel |  publié le 27/01/2024

Le monde rural s’est toujours insurgé contre les abus fiscaux, administratifs. L’ancien régime est émaillé de ces mouvements de colère. Parfois sanglants

D.R

Les croquants étaient à l’origine les nobles qui voulaient croquer les manants. Et puis, la signification du mot s’inversa. Les croquants devinrent les gueux qui voulaient faire un mauvais sort à ceux qui les asservissaient. Il désigna les participants aux révoltes paysannes, en particulier dans le sud-ouest, incessantes dès la fin du XVIe siècle.

En 1593, dans la foulée des guerres de religion, des troubles se propagent à partir de Turenne, en Limousin. L’insurrection gagne le Périgord. La noblesse massacre les rebelles. Le bon roi Henri IV soucieux de paix civile absout volontiers les insurgés. Mais des soulèvements ressurgissent en Guyenne, en Languedoc. Les troupes royales répriment rudement. Les meneurs sont écartelés ou pendus.

Ces bouffées de violences rurales perdureront pendant plus d’un siècle. Elles ont toutes une cause centrale : l’impôt sans cesse augmenté souvent pour payer les guerres du roi. En 1624, dans le Quercy la répartition de la taille , un impôt direct sur les paysans provoque de nouvelles révoltes. . Les agents du fisc sont agressés. Les croquants ne peuvent s’emparer de Cahors. Le maréchal de Thémines les écrase.

Mais la plus célèbre de toutes ces rébellions a sans doute été celle de communes du Périgord de 1637 à 1641. La prise d’armes fut extrêmement rapide. Deux sergents de l’élection de Périgueux sont tués. C’est comme un signal. Aussitôt, des milliers d’hommes se réunissent, somment les habitants de Périgueux de leur ouvrir les portes, de leur fournir des canons et de livrer les « gabeleurs » détestés, les officiers de finances chargés de recueillir l’impôt sur le sel , la gabelle . D’autres assemblées se forment dont l’une devant Bergerac. En bon ordre, sous leurs bannières, les rebelles investissent la ville. Leur troupe rassemble 8000 hommes. Parmi leurs chefs, des petits nobles qui vivent la vie de leurs paysans, mais aussi des roturiers, tisserands , médecins , curés … Le gouverneur de Guyenne, le duc d’Epernon, fait appel à son fils, Bernard de Lavalette qui commande l’armée à la frontière espagnole. 3000 fantassins et 800 cavaliers entrent en campagne. Peu à peu, les troupes royales reprennent les places aux mains des insurgés. La Salvetat-du-Dropt, un bourg au sud du Périgord, est emportée aux prix de lourdes de pertes. Un millier de croquants meurent. Dès lors on négocie. Une amnistie est accordée même si les chefs sont condamnés à mort ou aux galères. Richelieu est surtout préoccupé par ses relations avec l’Espagne. La sédition s’apaise, sans que les revendications des communes soient vraiment satisfaites. Si bien que de nouvelles séditions suivront, moins importantes, parfois sporadiques.

C’est cette rébellion, la plus importante qui inspira à un écrivain Eugène Le Roy un roman social publié en 1900 « Jacquou le Croquant ». et, en 2007, un film tiré du roman.

La révolte de 1637 est due à des prélèvements supplémentaires destinés au ravitaillement de l’armée royale postée sur la frontière espagnole, mais aussi une fois de plus à des tailles augmentées. Le poids, l’inégalité , la brutalité des recouvrements mettent le feu aux poudres. L’autorité royale n’est pas pour autant mise en cause. Le souverain est supposé ignorer les abus auxquels se livrent ses agents. Le XVIIIe siècle, peu à peu, fera un sort à cette innocence.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire