Pékin s’installe sur le Danube

publié le 12/05/2024

Lors de sa visite, Xi Jinping n’a rien cédé à Emmanuel Macron. Il a en revanche resserré les liens avec les nations danubiennes hostiles à l’Union. Par François Hollande

Le président français François Hollande au palais de l'Élysée à Paris, le 11 mai 2017. -Photo JOEL SAGET / AFP

En visite à Paris, et malgré les écarts et les attentions dont il a été l’objet, Xi Jinping est resté de marbre face aux demandes de clarification sur son soutien à Moscou comme sur les questions commerciales. Mais à Budapest il a fait les déclarations les plus enflammées à l’égard de son hôte et reçu de Viktor Orban les compliments en retour les plus chaleureux.

Le Premier ministre hongrois a été jusqu’à revendiquer sa solitude en Europe, pour mieux convaincre son interlocuteur de l’appui qu’il accorde à la Chine. Il a fait tout autant comprendre qu’il continuerait d’apporter son soutien aux ambitions de Vladimir Poutine dans la région, un soutien qui se fait de moins en moins discret. Le président de la Serbie, Aleksandar Vucic, recevant lui aussi Xi-Jinping, n’a pas été en reste. Il a parlé d’une amitié « solide comme un roc » avec la Chine et s’est montré disposé à aider Pékin à contourner les barrières commerciales érigées par l’Union européenne.

Au cours de son périple européen, Xi Jinping n’a donc rien cédé sur aucun dossier. Il a même insisté sur « le rôle positif » que joue son pays pour trouver une solution pacifique au conflit ukrainien, alors que tout indique que la Chine fournit les armes dont Moscou a besoin. Il ne prend même plus la peine de dissimuler son jeu quand il avoue la solidité du lien qu’il entretient avec Vladimir Poutine, qu’il recevra ce mois-ci à Pékin. C’est d’ailleurs le seul pays où le dirigeant russe peut encore aller. Partout ailleurs, il est interdit.

Aussi l’idée selon laquelle il serait possible, par maints gestes symboliques et autant de silences sur les sujets des droits humains, de circonvenir le président chinois pour le mettre à distance de son partenaire russe, est une illusion dont je ne sais si elle emprunte à la naïveté ou si elle relève de l’auto-persuasion. Dans les deux cas, c’est perdu d’avance. Depuis plus de dix ans, Pékin et Moscou ne dérogent pas à leur pacte, revendiquent un changement dans l’ordre international, manifestent le même mépris à l’égard de la démocratie et la même détestation à l’endroit de l’Occident.

Ce constat ne doit pas empêcher le dialogue. Mais pour que celui-ci soit fructueux, il doit être sans concession et ne peut se réduire à des considérations mercantiles comme le pratiquent les Allemands, encore récemment avec le chancelier Scholz quand il s’est rendu à Pékin. S’il doit être mené par l’Union européenne elle-même, ce qui serait sans doute judicieux, il suppose une unité de vue et une cohérence dans les démarches. Tel n’est pas le cas. Le plus grave pour l’Europe c’est de tolérer qu’en son cœur, un pays membre, la Hongrie, qui va exercer prochainement la présidence de l’Union européenne, puisse manquer à ce point de la solidarité la plus minimale et s’affirmer en opposition avec les principes de l’Union européenne.

Viktor Orban assume crânement cette partition. Il ouvre son économie à la Chine, conclut de nombreux accords commerciaux avec elle et aligne sa politique extérieure sur celle de Moscou quand il ne lui prête pas main-forte, y compris en Afrique. Il exprime la même morgue à l’endroit de la démocratie, du pluralisme, de l’indépendance de la justice. Il célèbre un monde multipolaire dont la Chine serait un pilier. Il souscrit aux thèses de Vladimir Poutine sur la civilisation chrétienne et noue avec les extrêmes droites des rapports complices. Quant à la Serbie, elle ne juge pas contradictoires ses sympathies avec les puissances qui menacent les intérêts et même la sécurité de l’Union européenne, tout en revendiquant d’y adhérer.

La faiblesse de la Commission européenne est criante, dès lors qu’aucune sanction ne vient suivre ses déclarations. Celle des États membres ne l’est pas moins. Combien de temps encore, les chefs d’État et de gouvernement tolèreront-ils Orban au Conseil européen, dès lors qu’il bloque la plupart de ses décisions ou qu’il négocie âprement les concessions qu’il est amené à faire ? Comment admettre que Budapest soit le siège de toutes les intrigues anti-européennes et le repaire de toutes les formations politiques qui la vouent aux gémonies ? Comment accepter que la Slovaquie, qui est maintenant, avec Robert Fico, le principal allié d’Orban, continue, elle aussi à se mettre en dehors des règles européennes.

Et si demain La Serbie devait entrer dans l’Union, comment accepter cette alliance des extrêmes ? Le beau Danube, qui baigne Bratislava, Budapest et Belgrade, a désormais des couleurs qui n’ont plus rien à voir avec les eaux européennes.