Look de droite contre look de gauche
Cravaté ou décontracté, branché ou sévère, barbu ou glabre, le look est-il politique ? Devinez.
(De gauche à droite, de haut en bas) : Jordan Bardella (RN), Léon Deffontaines (PCF), Marion Maréchal («Reconquete ! »), Valérie Hayer (Renew Europe), François-Xavier Bellamy («LR »), Manon Aubry («LFI), Marie Toussaint, (« Ecologie ») et Raphaël Glucksmann («Place Publique» et du PS). Joël Saget/AFP
Un homme ou une femme politique que vous ne connaissez pas vous aborde sur un marché. Par manque de temps, vous ne prenez pas le tract qui vous est tendu et retournez à vos courses. Si vous avez l’impression d’avoir deviné à quel bord politique il ou elle appartient, vous avez utilisé un stéréotype, des croyances sur les attributs personnels d’un groupe social. Ne vous en voulez pas, c’est humain, ce n’est pas forcément déconnecté de la réalité, et tout groupe social est susceptible d’en faire l’objet, qu’il soit défini par son âge, son genre, sa profession, son origine géographique, ou même sa filière universitaire.
Les femmes et hommes politiques ne font pas exception. On a même pu montrer que les gens étaient capables de les classer à gauche ou à droite simplement en regardant leur photographie. Les résultats ont été observés aux États-Unis, en Suisse et en Allemagne. Nous serions donc capables de repérer les appartenances politiques à partir de l’apparence.
Mais que comment procédons-nous ? La question est double. D’une part, il s’agit de déterminer les indices que nous repérons et qui nous donnent une indication sur l’appartenance politique. D’autre part, il s’agit de comprendre comment nous les traitons pour parvenir à un diagnostic sur l’appartenance politique de la personne que nous avons vue. L’étude que nous avons publiée dans le Journal of Economic Behavior & Organization avec l’économiste Carmelo Licata tente de proposer des éléments de réponse.
Les stéréotypes sont-ils statistiques ?
Deux grandes familles de théories décrivent ce processus. La première suppose que les gens sont rationnels et qu’ils suivent les principes statistiques. Selon elle, les gens formeraient des croyances qui reflètent l’ensemble des caractéristiques observables des groupes considérés. Ils devraient ensuite, en moyenne, déduire correctement l’appartenance à un groupe à partir de tous les indices disponibles.
La deuxième famille de théories, proposée par le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman et son co-auteur Amos Tversky, suppose que les gens utilisent des raisonnements simplifiés, les heuristiques, en l’occurrence l’heuristique de représentativité. Selon cette heuristique, les gens se concentrent sur les caractéristiques dont les fréquences diffèrent le plus d’un groupe à l’autre. Cette heuristique simplifie le problème du jugement mais peut entraîner des surréactions. Par exemple, si la proportion de députés de gauche avec une moustache est plus élevée que la proportion de députés de droite avec une moustache, les gens vont déduire que tout député avec une moustache est de gauche, alors même qu’il y a peu de députés avec une moustache même à gauche et que certains députés de droite portent une moustache.
Pour tenter de départager ces théories, nous avons utilisé le résultat d’un jeu en ligne dont les participants devaient classer les députés français à gauche ou à droite à partir d’une photographie.
Devinettes en ligne
En janvier 2012 des journalistes et des développeurs se sont affrontés pour concevoir des applications qui pourraient être utilisées par les journalistes au cours de l’événement « Hack the Press 2 ». Un développeur anonyme connu sous le surnom de « wax-o » a créé un site Internet sur lequel les internautes devaient classer à gauche ou à droite des photographies anonymes de députés français réels. Le site est devenu viral. La base de données, qui pouvait être librement téléchargée, a fini par contenir près de 70 000 observations.
Les photographies provenaient du site du Parlement français et représentaient les 554 députés en fonction de 2007 à 2012, 333 de droite et 221 de gauche, 447 hommes et 107 femmes. Aucune information personnelle n’était fournie. Les internautes devaient donc se fier à leurs stéréotypes.
Quelques photographies officielles du site de l’Assemblée nationale reprises par le site de wax-o. Les bandeaux ont été ajoutés par les auteurs de l’étude. Author provided (no reuse)
Nous avons complété le site de wax-o par une enquête en ligne. En plus de deviner les affiliations politiques de photographies anonymes, les personnes interrogées devaient évaluer les députés sur une échelle d’un à cinq en termes d’attirance, de compétence et de confiance qu’ils leur inspiraient. Avant de passer le test, elles devaient préciser leur genre et leur orientation politique – de gauche, de droite, ou non déclarée.
Les personnes interrogées ont correctement classé plus de 50 pour cent des photographies et fait mieux qu’en décidant au hasard, quel que soit l’échantillon considéré. Elles ont donc pu extraire une information utile des photographies anonymes, comme leurs homologues américains, suisses et allemands avant elles.
De gauche ou de droite ?
Mais comment ont-elles fait ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par déterminer s’il existait bien des différences entre députés de gauche et de droite.
Nous nous sommes concentrés sur les députés masculins pour des raisons statistiques et pratiques – les hommes représentaient 81 % de l’échantillon, et le costume masculin étant plus standardisé que le costume féminin, il est plus facile à coder. L’annexe de l’étude montre cependant qu’on trouve les mêmes résultats en considérant ensemble les députés et députées ou seulement les députées.
Nous avons codé les caractéristiques des députés : être de type caucasien ou non, la couleur ou l’absence de cravate, le port d’une moustache ou d’une barbe, sourire sur sa photo en découvrant ses dents. Ils ont ainsi établi une forme de portrait-robot du député de chaque bord, ce qu’on appelle le prototype des députés de gauche et de droite.
Dans l’échantillon, les députés de droite étaient moins souvent non caucasiens et portaient moins souvent une barbe ou une moustache que leurs homologues de gauche. En revanche, les députés de droite avaient moins tendance à porter des lunettes et plus tendance à sourire que leurs homologues de gauche. Les députés de droite portaient également moins souvent que leurs homologues de gauche des cravates rouges, des cravates d’une autre couleur, ou pas de cravate du tout, mais ces différences étaient statistiquement plus fragiles.
Portraits-robot réalisés à l’aide du site d’intelligence artificielle Playground sur base des caractéristiques décrites dans l’article. Fourni par l’auteur
Quoi qu’il en soit, il existait bien des différences visibles et statistiquement significatives entre députés de droite et de gauche.
Une part de vérité
Dans un deuxième temps, nous avons étudié les caractéristiques qui amenaient les internautes à classer un député à droite ou à gauche, afin de déceler les stéréotypes utilisés et de les comparer aux prototypes des députés.
Les résultats donnent une description remarquablement stable d’une enquête à l’autre des stéréotypes. Être caucasien, porter une cravate bleue, être glabre sont des caractéristiques que les internautes associent à la droite. À l’inverse, ne pas être caucasien, porter des lunettes, une cravate rouge, une cravate de n’importe quelle couleur autre que rouge ou bleue, ou pas de cravate du tout, porter une barbe ou une moustache, sont des caractéristiques que les internautes associent à la gauche.
Ces caractéristiques sont bien celles des prototypes des deux groupes de députés. Les stéréotypes auraient donc une part de vérité. Qui plus est, les internautes réagissent aux mêmes caractéristiques qu’ils se déclarent de droite, de gauche ou ne déclarent pas leur préférence. Les stéréotypes seraient donc consensuels en plus d’être réalistes.
Toutefois, l’ampleur de l’effet d’une caractéristique sur la probabilité qu’un internaute catégorise une photographie à gauche ou à droite augmente strictement avec la représentativité de cette caractéristique. Cela signifie que certaines différences peuvent être exagérées.
C’est notamment le cas des caractéristiques subjectives. Si les députés de droite obtiennent en moyenne un score marginalement plus élevé en termes de compétence et ceux de gauche un score marginalement plus élevé en termes de confiances, leurs scores sont si proches qu’ils peuvent à peine ou pas du tout être discernés d’un point de vue statistique et ces caractéristiques ne devraient donc pas être utilisées pour catégoriser les photographies. Pourtant, les internautes, de droite et de gauche, classent les députés qui leur semblent compétents à droite et ceux qui leur inspirent confiance à gauche.
Et l’attirance ?
L’attirance se distingue. Lorsqu’un député est considéré en moyenne comme attirant, il est classé gauche par les internautes de gauche et à droite par les internautes de droite. Pourtant, les scores d’attirance des députés de gauche et de droite sont en moyenne indiscernables.
Ce résultat suggère l’existence d’un effet de halo, le biais cognitif qui pousse les gens à supposer quand ils perçoivent une caractéristique positive chez une personne que ses caractéristiques dans d’autres domaines seront également positives.
Concrètement, si nous trouvons une personne attirante, nous tendons à la parer d’autres qualités, être spirituelle, bienveillante, de gauche si on est de gauche et de droite si on est de droite. L’attirance est la seule caractéristique pour laquelle nous ayons pu identifier ce biais. En un sens, le charme est donc plus fort que les stéréotypes partisans.
Pierre-Guillaume MéonProfessor of economics, Université Libre de Bruxelles (ULB)