Planète: la démographie va tout changer!

par Bernard Attali |  publié le 19/10/2024

À bas bruit, l’évolution de la population mondiale va rebattre toutes les cartes géopolitiques. Dans un sens inattendu…

Des mères tiennent leurs bébés nés dans une maternité de Manille, le 29 février 2024. (Photo de JAM STA ROSA / AFP)


Les phénomènes démographiques passent souvent inaperçus. Et pourtant les experts le savent, nous vivons un tournent dans l’histoire de l’humanité : c’est la première fois à l’échelle du monde, que les plus de 65 ans sont plus nombreux que les moins de 25 ans. L’indice de fécondité, qui était de 5 enfants par femme en 1960, sera probablement de 2,1 dans quelques années. Nous entrons en territoire inconnu (1).

Le pic de la population mondiale pourrait arriver dès 2046 avec 9 milliards, et, dans un autre scénario dès 2040, avec 8,5 milliards. L’explosion démographique est bel et bien terminée. C’est le fruit de la modernisation rapide des sociétés, avec son corollaire, l’urbanisation de la population.

Cette situation est porteuse de mauvaise nouvelles… et de bonnes. Parmi les mauvaises évidemment le ralentissement de la croissance : de l’ordre de 1 à 2% au niveau mondial. Avec le vieillissement, le nombre d’actifs se réduit dans beaucoup de pays. Moins de producteurs, moins de richesses. L’Europe, déjà en dépopulation, passera en dépeuplement à partir de 2026. Près de 35 millions d’européens vont aussi prendre leurs retraites d’ici 2050. La France en particulier devrait perdre 6% de ses 20-64 ans et l’Allemagne 20% ! Mais à l’autre bout du monde d’autres locomotives vont perdre leur moteur démographique : la Chine – 26,6% – et le Japon -34,6%-.

Certains pourtant anticipent des conséquences positives de ce phénomène. En particulier ceux qui plaident pour ménager la planète et ses ressources : nombre d’écologistes souhaitent un ralentissement de la croissance. D’autres soulignent aussi qu’une pression démographique moindre pourrait atténuer les tensions géopolitiques. Il est dit qu’une population âgée est moins belliqueuse qu’une population dans la force de l’âge.

Autre point positif : les évolutions démographiques prévisibles d’ici 2050 ne sont pas défavorables aux grandes puissances démocratiques. La Chine, comme on le dit souvent, devrait « vieillir avant de devenir riche ». Son taux de fécondité s’approche dangereusement de 1 : ce qui veut dire une population de moins de 600 millions en 2050 ! A la fin de la décennie 2040, le poids des retraites sera supérieur à 20% de son PIB. Conséquence pour beaucoup de prévisionnistes : la Chine ne deviendra jamais la première puissance mondiale, en termes de PIB nominal. Quant à la Russie elle va perdre près de 10 millions habitants avant 2050 et les effets de la guerre en Ukraine se feront longtemps sentir.

On assistera d’ailleurs à d’étonnants retournements. L’évolution démographique du Proche-Orient est de ce point de vue intéressante. Il y a 30 ans, Israël craignait la vigueur démographique des populations arabes. L’évolution démographique lui est désormais favorable. En effet, la croissance de la population juive est une exception dans les pays développés. Elle s’accroit, alors que celle des populations arabes de la région ralentit. Cela explique pas mal de choses sur ce qui se passe en Cisjordanie.

Il ne faut pas sous-estimer les atouts du monde occidental et de l’Amérique en particulier dans cette évolution : d’une manière générale, un dynamisme démographique plus important, une grande capacité d’innovation, et une capacité d’adaptation sans égale. Avec quoi qu’on en dise, une immigration très importante.

Car il ne suffit pas de raisonner globalement. Ce sont les déséquilibres géographiques par grande zone qui méritent à être examinés de près : à côté de l’Inde, le Pakistan devient un géant de 371 millions d’habitants en 2050. On connait l’antagonisme très ancien de ces deux puissances. Au Sud de l’Europe le Nigeria, et toute la région subsaharienne continuera à fournir un flot d’immigrants très important. Des pays comme le Niger détient le record du monde de la fécondité avec 6,7 enfants par femme ! Des guerres sanglantes y ravagent des régions entières, comme le Tigré en Éthiopie. On peut donc anticiper des vagues de migration très importantes en provenance de ces pays. En 2050 l’Afrique sera quatre fois plus peuplée que l’Europe, alors que ces deux continents avaient la même population en 1960. L’Union Européenne devrait connaitre une vague de 1 million de migrants africains chaque année, soit le double du flux actuel.

À la réflexion l’Europe est sans doute l’une des zones du monde les plus à risque. Elle accumule en effet un affaiblissement démographique (et donc une croissance qui va s’affaiblir) et des courants migratoires venus du Sud qui pourraient être très déstabilisants. La Méditerranée, à l’échelle de la planète n’est qu’un lac.

Au lieu de se coordonner posément les différents pays d’Europe tirent à hue et à dia : l’Allemagne ferme ses frontières, l’Autriche cède à la surenchère, la Pologne suspend le droit d’asile, l’Italie exporte ses migrants en Albanie comme l’Angleterre rêve de le faire au Rwanda… et la France se déchire sur le sujet. En gros : panique à bord ! Et une totale indigence de la réflexion sur les moyens et les méthodes propres à intégrer avec dignité les populations que nous allons devoir accueillir. Car nolens volens, contrairement à ce que raconte ici ou là des esprits excités l’immigration n’est ni une chance ni une disgrâce : c’est une réalité.

(1) Voir Choc démographique et choc des empires : le monde en 2050, étude de l’Institut Diderot – Octobre 2024

Bernard Attali

Editorialiste