Populisme : alerte en Argentine
Un économiste au programme farfelu, adepte de l’insulte et du slogan simpliste, devient le favori de la prochaine présidentielle. Nouvel avatar de la crise démocratique…
L’inépuisable veine du populisme vient de produire un nouveau spécimen, pas beaucoup plus rassurant que ses modèles nord ou sud-américains. L’affaire se passe cette fois en Argentine, où un régime démocratique incertain échoue à résoudre les graves difficultés qui assaillent le pays, avec une montée de la pauvreté, un désordre économique catastrophique, une inflation à plus de 100% et une usure de la classe politique, qu’elle soit péroniste ou conservatrice.
C’est ainsi qu’un économiste médiatique, Javier Milei, maniant le langage raffiné du populisme – formules à l’emporte-pièce, insultes envers la « caste » au pouvoir, dénonciation virulente de la politique traditionnelle, l’a emporté dans les primaires nationales destinées à sélectionner les principaux candidats à la présidentielle, qui aura lieu en octobre.
Il s’agit cette fois d’une variante ultra-libérale (libertarienne) du populisme qui avait porté au pouvoir Donald Trump ou Jair Bolsonaro, de triste mémoire. Reconnaissable à sa tignasse brune agrémentée d’épais favoris, ce personnage, adepte de l’habituelle démagogie antisystème, propose de remplacer le peso défaillant par le dollar, de dissoudre la Banque centrale, de tailler à la hache dans les dépenses publiques et de relancer par ce biais l’économie nationale pour rendre à l’Argentine sa grandeur passée, quand le pays était l’un des plus prospères de la planète (c’était dans les années cinquante). « Make Argentina great again »… Promoteur de l’élégant slogan « Vive la liberté, bordel ! », il veut aussi autoriser le port d’arme et libéraliser la vente d’organes, sans oublier – le libéralisme a des limites – de flatter l’électorat conservateur en prévoyant de supprimer le droit à l’IVG concédé aux femmes argentines en 2020.
Ces mesures paraissent farfelues à beaucoup de commentateurs et elles ont déjà obligé le gouvernement, par leur simple énoncé, à dévaluer la monnaie nationale. Elles ont néanmoins l’attrait de la nouveauté auprès d’un électorat désabusé par deux décennies d’échecs démocratiques, d’autant que l’Argentine est historiquement le pays qui a inventé le populisme, sous le règne de Juan et Évita Peron.
Certes, les deux concurrents de Milei, la cheffe conservatrice Patricia Bullrich et le ministre de centre gauche Sergio Massa ont obtenu des scores honorables, juste derrière le trublion libertarien, et l’élection d’octobre reste très ouverte. Mais la dynamique de l’opinion favorise clairement le nouveau venu de la politique argentine, qui a émergé en dehors de tout système partisan et joue de cette virginité pour bousculer le jeu. On retombe ainsi sur la classique leçon de ces mésaventures : le populisme n’est pas un virus que les démocraties contractent au hasard. C’est une pathologie qui reflète l’impuissance des gouvernements à relever les défis du nouveau siècle. Autant dire qu’on est loin d’en être débarrassé…