Populisme : bien nommer les choses
Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. Cette sentence de Camus devenue un poncif, est politiquement indispensable par gros temps. Les forces politiques de l’arc démocratique devraient s’en inspirer.
Emmanuel Macron est resté fidèle à lui-même ce jeudi soir, tant dans la posture que dans la cohérence définitivement solitaire qui est la sienne. L’évocation d’un front « anti-républicain » soulève la question de la nature de sa composition. « Jonction des extrêmes », « extrême-droite et extrême-gauche », « front du chaos » sont les expressions les plus fréquentes pour qualifier RN et LFI. En réalité, le RN s’est largement débarrassé de ses oripeaux issus directement du fascisme et de l’Algérie française, putschiste et tortionnaire quand la FI ne possède qu’un héritage formel et lointain avec les gauches y compris dans sa dimension radicale.
La transformation du Front en Rassemblement national n’a pas seulement été de façade indépendamment de l’évocation sulfureuse du clan Le Pen. La distanciation du rapport à la violence factieuse, la fin des louanges ouvertement collaborationnistes et antisémites ont objectivement transformé la pme lepéniste née en 1972. Sans effacement des liaisons dangereuses avec les groupes nationalistes les plus abjects du parlement de Strasbourg, les dîners en catimini avec l’Afd allemande persistent.
Mais la tradition maurassienne et pétainiste est désormais davantage à chercher chez la nièce que la tante. Elle correspond aussi à un passage de témoin générationnel : les jeunes trentenaires rejoignant le RN sont mus par le racisme ordinaire, le sentiment europhobe et nationaliste, la fascination démagogique et les contre-vérités scientifiques davantage que par une culture politique héritière d’une tradition anti parlementaire fascisante. A l’instar de la démocrature hongroise, le RN présente un programme et une faconde populiste dans l’air du temps. Pour avancer pratiquement, la première cible du RN est l’UE, cristallisant la digue institutionnelle et culturelle à leur sombre horizon.
De son côté, le chef de la FI a réalisé son aggiornamento populiste, à commencer par la dénonciation du projet européen porté par la gauche démocratique. Si le PCF a combattu la défense commune dès les années 50, il n’en a jamais rejeté l’idée en la déclinant abstraitement comme une œuvre nécessaire empêchée par la guerre froide. Quant à l’extrême-gauche, elle considérait l’idée européenne comme une forme de prolongement de son adn internationaliste.
Le même constat peut être fait sur la laïcité, patrimoine commun des gauches jusqu’à un passé récent quelles qu’en soient les obédiences. Si une partie de l’extrême-gauche a pu défendre la révolution iranienne à ses premières heures, au nom d’un anti impérialisme américain primaire, elle s’est rapidement ravisée ne serait-ce que parce que les siens croupissaient dans les geôles de Khomeiny.
Enfin, la tradition universaliste, issue des Lumières, était un patrimoine revendiqué par les gauches fracturées issues du congrès de Tours, encartées ou hors les murs, militantes ou de salon. Sur ces socles fondateurs de la gauche, la FI a opéré sa mue populiste. L’Europe, là encore, concentre les principales tensions avec un programme hexagonal désuet faisant fi des rapports de production et du marché mondialisé.
Si l’on est dupe du jeu présidentiel s’exonérant de sa responsabilité première dans la situation actuelle, la présentation d’un arc populiste se dressant face à l’arc démocratique est en revanche, entendable. Sa réalité s’affiche au plus grand nombre au fur et à mesure que la crise atteint son paroxysme.
Cette compréhension confuse ramène tardivement mais sûrement l’ensemble de la famille socialiste à la raison, quelles qu’en soient les contorsions, pour rejeter le fleuve d’un populisme à deux voix, pas nécessairement dissonantes.