Le porno mis à nu

par Laurent Joffrin |  publié le 27/09/2023

Un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes décrit sans fard les pratiques de l’industrie pornographique

Laurent Joffrin

Imaginons – un instant – une chaîne de télé hertzienne en difficulté financière qui décide un jour de ranimer ses audiences en diffusant des films pornographiques à flot continu. Ainsi dans le salon des braves gens, sur l’écran familier et familial, se déverseraient sans limite des scènes de double pénétration, de jeux sado-masos, de pratiques zoophiliques, de vidéos simulant la violence envers les femmes ou bien frôlant les lignes rouges de la pédo-criminalité. Une heure plus tard, au plus, la levée de boucliers de l’opinion, l’indignation des parlementaires de tous bords, la réaction des autorités de régulation, mettraient évidemment fin à ce scandale. Avec un argument définitif : comment une chaîne hertzienne ayant pignon sur rue peut-elle diffuser des images heurtant à ce point les enfants et la grande majorité de leurs parents ? Exit ce canal par qui le scandale arrive…

Or cette chaîne existe. Ou, plus exactement, une myriade de chaînes de ce type sont en fonctionnement, accessibles sur les innombrables écrans numériques que tous, enfants compris, peuvent consulter sans limite partout et à toute heure de la journée ou de la nuit. Nouvel exemple de l’extravagant privilège dont disposent les grandes plates-formes numériques : elles peuvent, en toute impunité, diffuser massivement ce qui est prohibé sur tous les autres médias. C’est l’aberration que dénonce Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), en publiant un rapport intitulé « Pornocriminalité », remis mercredi 27 septembre à Bérangère Couillard, la ministre déléguée chargée de l’égalité femmes-hommes.

Assaut de pudibonderie ? Attaque vicieuse contre la liberté d’expression ? Non : simple application des lois. La pornographie, dès lors qu’elle s’adresse à des majeurs, est une activité parfaitement licite, qui ressortit au fond de la vie privée de chacun. Nulle condamnation moralisante là-dessous. Il ne s’agit pas de cela, mais des pratiques notoirement illégales de cette industrie richissime.

Sur plus de 230 pages, le HCE détaille « les atteintes graves à la dignité humaine et les conséquences graves de la diffusion illimitée et illégale de ces contenus sexuels ». Comme le rapporte Le Monde, citant le rapport, « 90 % des contenus pornographiques contiennent de la violence physique ou verbale, et sont donc pénalement répréhensibles ». On y trouve « des femmes torturées par électrocution, des femmes asphyxiées dans des sacs plastiques, des femmes hurlant de douleur ». C’est une « réalité effrayante : une partie importante des vidéos pornographiques diffusées sont des vidéos de viols filmés, du « revenge porn », ou elles ont été obtenues par la contrainte dans des réseaux d’exploitation sexuelle. La souffrance est parfaitement visible et en même temps érotisée ».

Images réservées aux adultes ? Pas du tout : les jeunes sont exposés à ces vidéos dès l’âge de 10 ans en moyenne ; l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ajoute que 51 % des garçons de 12 ans et 65 % des garçons de 16 ans se sont rendus sur un site porno chaque mois en 2022. Or l’impunité est totale. Pour tester le système, les auteurs du rapport ont effectué 35 signalements auprès de la plate-forme officielle de signalement de contenus illicites en ligne Pharos. Sans aucun effet.

Ainsi, avant de savoir par quels moyens on peut mettre fin à cette aberration (ils existent, sans mettre en cause le moins du monde la liberté d’expression, notamment pour protéger les enfants), la prise de conscience est urgente. Elle est le préalable à toute action sérieuse. Appel à la censure ? Non. Simple rappel d’une des bases des libertés publiques : en démocratie, « l’expression est libre, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ». Nous y sommes.

Ps : et n’oubliez pas l’invitation :

SAVE THE DATE

Ce jeudi 28 septembre, l’équipe de LeJournal.info Dimanche vous attend à sa fête de lancement.
Dès 19h00 au restaurant Le Julia, 62 rue Sedaine – Paris 11e

Venez nombreux.

Laurent Joffrin