Portugal : le baiser de l’extrême-droite

par Emmanuel Tugny |  publié le 15/03/2024

Avec Chega, 18 % des voix aux législatives, la bise populiste qui souffle sur l’Europe gagne désormais le Portugal

Le leader de CHEGA, Andre Ventura, s'adresse à ses partisans à Lisbonne, le 10 mars 2024 -Photo ANDRE DIAS NOBRE / AFP

La purge sociale exigée en 2011 contre prêt (78 milliards d’euros entre FMI et UE) et une pratique économique social-démocrate continente avaient pourtant permis au pays de Camões de surmonter la terrible crise post-2008 et d’afficher une santé enviable.

Le jeune parti Chega (« Ça suffit »), fondé en 2019, dirigé par le tonitruant juriste Ventura, émule de Bolsonaro, monte en puissance en cette terre socialiste quasi sans interruption depuis la chute de Salazar en 1974 et qui, s’agissant de politique migratoire, a surtout dû souffrir, au long de l’Histoire, de l’émigration massive de sa population native, y compris vers l’Afrique où, jusqu’aux années 2000, sa jeunesse émigrait par cohortes…

Certes, le Portugal vit une ère de prospérité économique (chômage de 6,5 %, croissance prévue à 2,1 % pour 2024, 5e croissance la plus rapide de l’OCDE) au regard de critères communautaires qu’on pourrait qualifier de « maastrichtiens ».

Mais il n’en est pas moins taraudé par les fortes inégalités salariales qui règnent au sein de ses secteurs agricole et industriel et que souligne l’épisode inflationniste européen.

Il voit croître le rejet de l’immigration de travail venue notamment de cette Afrique lusophone (Cap-Vert en tête) qui, dans des villes comme Setubal ou Lisbonne, souffre d’un racisme régulièrement dénoncé par les ONG.

Il voit aussi monter la grogne de ces travailleurs portugais aisés des centres-villes qui peinent à s’y loger en raison des investissements massifs que réalisent les classes moyennes européenne et brésilienne, notamment les retraitées.

Il n’a enfin jamais cessé de voir contester en son cœur populaire catholique un libéralisme des mœurs que le pays a adopté après Salazar, et qui n’est pas sans évoquer la « movida » espagnole.

Chega a mieux que doublé, ce dimanche, son score législatif de 2022 en obtenant, au bout de dix ans de gouvernement de centre-gauche d’Antonio Costa, un score de 18 % qui en fait le troisième mouvement du pays, lui assurant 48 élus au parlement.

Le parti est à présent l’interlocuteur incontournable de l’Alliance démocratique (AD) de Montenegro, arrivée en tête dimanche. Un clou dans la chaussure de l’alliance qui, en raison de l’extrême morcellement du vote de dimanche, ne peut gouverner à coup sûr sans son encombrant voisin et regimbe pour l’heure à répondre favorablement à sa demande d’union gouvernementale, même si ce refus la fait passer pour une force bourgeoise ignorant les frustrations populaires, ou pour une droite molle hostile aux vues ultralibérales de Chega.

L’AD tiendra-t-elle longtemps sa position, elle dont nombre de responsables jugent que l’appui du petit parti Initiative libérale (5 % des voix) est insuffisant à lui assurer une base législative et populaire solide et craignent de la voir par trop assimilée à une gauche excessivement inféodée à l’Europe économiquement dirigiste et moralement laxiste que l’électorat vient de sanctionner ?

Le centre-droit est en somme également rétif à s’encanailler à droite et à s’aliéner des classes populaires et des forces patronales chauffées à blanc par Chega…

Du Portugal, il y a encore quelques jours « Costa Rica » d’une Europe en plein déboulement droitier, rien n’indique à ce stade qu’il refuse le baiser toxique d’un populisme européen en plein boom.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie