Pour : aider à mourir, parfois une nécessité

publié le 10/05/2024

Le médecin a pour devoir d’accompagner les patients. Par Didier Peillon (*)

Didier Peillon - D.R

Comme de nombreux médecins, j’ai provoqué la mort de patients. Ces décisions s’imposaient, en accord avec mes convictions et par respect de l’intime volonté parfois exprimée par la personne.

Ce ne fut jamais vécu, tant par les soignants qui m’accompagnaient que par moi-même comme un échec, mais toujours comme une responsabilité sereinement assumée. Toujours guidés par une règle absolue : ne pas juger les patients, seulement les entendre et rester dignes de leur confiance.

Accompagner un patient en lui épargnant une période de fin de vie qu’il refuse obstinément, c’est le respecter dans ses choix les plus intimes, sans l’abandonner au moment le plus difficile. C’est donner à chacun l’assurance d’être entendu, écouté et compris, quels que soient ses décisions prises en toute liberté.

Demander une aide à mourir dans une situation de désespoir extrême, c’est choisir de vivre jusqu’au bout tout en refusant une période supplémentaire d’agonie, de survie dépourvue de sens. Décision aussi tragique que respectable, la qualifier de caprice ou de faiblesse ne serait pas faire preuve d’une grande humanité !

Demander l’ultime délivrance résulte d’une situation où la médecine n’est pas capable de guérir ou de redonner l’espoir, ni même d’apaiser. Ce serait manquer d’humilité et surévaluer notre pouvoir de penser le contraire. Ce serait refuser de voir la réalité implacable d’agonies parfois terrifiantes et dévastatrices, tant pour le patient que pour son entourage, et pour lesquelles nous n’avons pas de solution. La médecine n’est pas toute-puissante. Elle n’a pas réponse à tout.

Les progrès médicaux de ces dernières décennies bouleversent le cours naturel de la vie, le plus souvent pour le meilleur, mais parfois pour le pire.

Pour le meilleur en offrant aux patients, comme le disait un de mes confrères, une tranche de vie supplémentaire. Inverser le cours d’une maladie mortelle, tirer d’affaire un traumatisé dont la vie ne tient qu’à un fil, voilà la suprême récompense pour tout soignant.

Mais parfois pour le pire. Par la connaissance des pathologies, par la précision des diagnostics que nous pouvons établir, le caractère incurable de certaines maladies peut souvent être affirmé. Les patients sont alors confrontés, sans aucun espoir d’amélioration, à l’aggravation inéluctable de leur dépendance, parfois de leurs souffrances ou de la perte de leurs capacités relationnelles et intellectuelles. Rappelons-nous l’exemple d’Anne Bert, atteinte de sclérose latérale amyotrophique (une paralysie progressive de tous les muscles) et qui jusqu’au bout a témoigné de son calvaire. Avec une dignité bouleversante, elle demandait une aide à mourir qui lui a été refusée.

Seul ou accompagné de confrères, j’ai souvent pris ou participé à la décision de délivrer certains patients de telles situations, considérant que nul autre qu’eux n’était mieux placé pour décider. Dans ces moments, il est frappant de constater le manque de préparation des étudiants en médecine et des internes, désemparés et en grande difficulté pour faire face à ces situations où aucun soin curatif ne peut être proposé. L’accompagnement jusqu’au décès dans le respect des volontés intimes du patient doit être enseigné. Et si ses propres convictions le permettent, parfois jusqu’à aider à mourir, sans culpabilité ni sentiment d’échec.

Les soins dits « de confort », à visée palliative, constituent parfois une réponse efficace à ces drames. Les médicaments, l’accompagnement humain peuvent permettre de surmonter l’intensité des douleurs et des angoisses, de redonner un sens et un élan vital. Mais il est des situations où la réalité incontournable et implacable de ce qui est vécu rend dérisoire toute tentative de soins. En dernière extrémité, autant la décision du patient de mettre fin à son calvaire que celle du soignant de l’accompagner dans ce choix intime doivent être respectés.

Indépendamment de ces réalités humaines, plusieurs constatations doivent être rappelées.

  • Aujourd’hui, malgré la loi, les actes d’euthanasie sont innombrables. Une étude menée en France en 2010 par l’Institut National des Etudes Démographiques indique que plusieurs milliers d’injections létales sont réalisées chaque année et plus de 100 000 décès surviendraient après décision médicale de limitation thérapeutique ou d’arrêt délibéré d’un traitement.
  • Ces médecins n’agissent ni par intérêt, ni par goût de la transgression, mais à leurs risques et périls et le plus souvent avec le soutien ou tout au moins l’assentiment de leur équipe et des proches des patients.

Dans sa grande majorité, la population française soutient ces pratiques, les sondages et les conclusions de la récente Convention Citoyenne en apportent la preuve.

  • Pour être entendus dans leur demande d’aide à mourir, des Français en fin de vie sont contraints de se rendre à l’étranger, le plus souvent en Belgique ou en Suisse. Encore doivent-ils disposer des moyens et des soutiens nécessaires, et d’un état de santé compatible avec le voyage, ce dont tous ne bénéficient pas. L’incapacité du système de soins français à leur apporter une réponse interroge.
  • De nombreux pays voisins ont franchi le pas depuis des années. Ce sont des démocraties, respectueuses des droits de l’homme. Aucun élément économique n’intervient dans les décisions d’euthanasie et d’assistance au suicide. Après des années de pratiques, aucun de ces pays n’envisage de revenir en arrière.

L’adoption d’une libéralisation de l’aide à mourir constituera une avancée fondamentale vers le respect des droits et des souhaits intimes de chacun.

Il m’est cependant difficile de ne pas mentionner les grands oubliés de la Loi Macron.

Oubliées les personnes démentes, grabataires, torturées par des angoisses et des douleurs permanentes, sans espoir d’amélioration et incapable d’exprimer une demande éclairée.

Oubliés les patients comateux sans perspective de réveil.

Oubliés les mineurs.

Oubliés les patients soignés dans l’urgence, contexte ignoré tant par la loi actuelle que par le projet de loi Macron. Aucune procédure n’est prévue pour permettre une abstention thérapeutique et encore moins une aide à mourir dans ces contextes.

Quand la vie n’en est plus une, quand elle se résumera inexorablement et pour toujours à une période dépourvue de toute joie, de tout moment de partage, de toute possibilité de communication, de totale dépendance pour les actes les plus simples et les plus intimes, quand le décès survenant inopinément serait unanimement salué comme une délivrance, comme « la meilleure chose qui pouvait arriver », je revendique de pouvoir m’interroger sur la pertinence des actes médicaux et sur le bienfondé de prolonger délibérément et artificiellement ces états de survie. Je refuse d’être contraint de choisir entre l’illégalité et l’abandon de mes convictions.

Pour ces oubliés, espérons que la réflexion sur la fin de vie se poursuivra au-delà de l’aide à mourir prochainement débattue.

(*) Didier Peillon, médecin Hospitalier