Pour sauver la planète, regardons… le passé
Philippe Sabuco, membre du Collectif Télémaque, compare, la question environnementale au 21e siècle et la question sociale au 19e
La gauche, souvent, ne médite pas assez les leçons de l’Histoire. Par beaucoup d’aspects, en effet, les discussions qui entourent la lutte pour le climat rappellent les débats anciens sur la question sociale, lorsqu’il s’est agi de lutter contre la misère, fléau majeur des sociétés industrielles naissantes.
Les transformations radicales de la société du 19e siècle – révolution industrielle, développement du salariat, exode rural et urbanisation – posèrent en des termes nouveaux la question de la misère, devenue soudain aussi visible qu’endémique.
Dans un premier temps, l’ampleur du phénomène plongea les hommes politiques et les intellectuels de l’époque dans un abîme de perplexité : comment lutter contre ce fléau qui gangrène peu à peu les fondements de la société ? La tâche était immense. La charité trouvait ses limites ; une révolution copernicienne s’imposait.
C’est ainsi que la charité – certes plus haute sur le plan moral – fut supplantée par la solidarité – plus efficace sur le plan social. Et, de fait, la solidarité – portée par des mouvements politiques nouveaux (solidariste, coopératif, socialiste…) et des politiques publiques novatrices – permit de lutter bien plus efficacement contre la misère que la charité. Ce fut la victoire de la prévoyance sur l’aumône.
Aujourd’hui, la question capitale qui se pose à nous n’est plus celle de la misère – même si celle-ci demeure malheureusement d’actualité -, mais celle de l’habitabilité de la Terre.
Le dérèglement climatique, l’érosion de la biodiversité, la question de l’accès aux ressources constituent incontestablement le défi de notre temps. Si bien que l’on est en droit de s’interroger : et si la question environnementale était au 21e siècle ce que la question sociale fut au 19e ?
La question environnementale représente, elle aussi, un immense défi : elle interroge les fondements mêmes de notre société ; elle bouscule intellectuels et hommes politiques, enfermés dans des cadres conceptuels figés. Plus grave, les réponses apportées jusque-là pour y répondre sont également insuffisantes, pour ne pas dire dérisoires. Les injonctions morales tiennent souvent lieu de politique, sans souci de cohérence ni d’efficacité.
C’est ce qu’illustrent, par exemple, les « petits gestes » pour le climat, qui sont à la question environnementale ce que la charité fut à la question sociale : une somme d’actes individuels, louables sur le plan moral, mais très largement insuffisant.
Car les « gestes individuels » – bien que nécessaires – ne représenteraient in fine qu’un quart des efforts à produire pour atteindre nos objectifs climatiques : l’individu étant très largement contraint par l’environnement socio-technique dans lequel il évolue.
Au fond, la plupart de nos comportements individuels s’inscrivent dans un cadre collectif qui limite – et bien souvent empêche – les arbitrages individuels. Le choix de la mobilité active (comme le vélo par exemple), dépend très largement de l’aménagement du territoire (pistes cyclables) et d’autres facteurs socio-économiques (distance à son lieu de travail par exemple) que la plupart des individus subissent.
Il semble donc illusoire de faire reposer la lutte contre le dérèglement climatique sur les seules épaules des individus. Dans ce domaine, seules des politiques publiques ambitieuses et des investissements massifs permettront d’accélérer la transformation collective nécessaire. Ces transformations structurelles, loin de décourager les « petits gestes », créeront, au contraire, un cadre favorable à leur multiplication.
La solidarité collective a démontré son efficacité pour résoudre la question sociale, gageons qu’elle soit aussi capable de nous aider à résoudre la question environnementale. Aujourd’hui, comme hier, les progressistes ont un avantage décisif puisque la solidarité collective est consubstantielle à leur identité. Ils sont donc les mieux armés idéologiquement.
Pourtant, si la méthode est la même, l’objectif n’est pas exactement de même nature. Hier, il s’agissait principalement de mieux répartir les fruits de la prospérité issue de la révolution industrielle pour en atténuer ses effets destructeurs sur le lien social. Aujourd’hui, l’enjeu est d’éviter le pire, en organisant un gigantesque effort collectif qui se traduira par une mutation profonde de nos modes de vie, qu’il s’agisse de produire ou de consommer.
Dans ce contexte inédit, la tâche des progressistes est double : assurer une juste répartition de l’effort collectif ; renouer avec la promesse d’un avenir meilleur pour tous grâce aux bénéfices de la transition écologique en termes de santé, de bien-être et de qualité de vie par exemple. C’est uniquement à cette double condition qu’il sera possible de relever ce défi.
Par Philippe Sabuco
Cadre du secteur privé, Membre du Collectif Télémaque