Pourquoi Bibendum se dégonfle
Le groupe de pneumatiques ferme les sites de production de Vannes et de Cholet. En fait, c’est toute la filière automobile française qui bat en retraite devant ses nouveaux concurrents, faute de compétitivité.
Voyons les choses en face : l’industrie automobile est sinistrée en France et tout le secteur est touché, les constructeurs comme les équipementiers. Rien de neuf, à vrai dire : régulièrement, les alertes sont lancées, puis la pression retombe. Les directions des entreprises taillent dans les effectifs, tentant de cautériser les plaies avec des chèques de départ ; en quinze ans, le nombre d’emplois a chuté de 40% dans la branche automobile. Rien n’y fait, les maux subsistent. Après une accalmie au milieu des années 2010, les vagues de licenciements reprennent. L’annonce par Michelin de la prochaine fermeture de ses usines françaises de Cholet dans le Maine-et-Loire et de Vannes dans le Morbihan n’est que le dernier épisode d’un recul que les gouvernements successifs n’ont pas su enrayer.
Construction de véhicules ? Renault et Stellantis (Peugeot et Citroën entre autres) ne fabriquent plus que deux voitures sur dix en France, soit trois fois moins qu’au tournant du siècle. Et sur cette période, le nombre de voitures produites dans l’Hexagone par les marques françaises a baissé de moitié alors qu’il augmentait dans le reste du monde. Au total, la part de la production automobile française sur le marché mondial est tombée à 1,6 % en 2023, contre 5,7% en 2000 !
Guerre des coûts
Un dérapage totalement incontrôlé alors que le centre de gravité du monde automobile se déplaçait vers l’est : une voiture sur trois dans le monde sort aujourd’hui des usines chinoises. Les marques asiatiques ciblent les marchés occidentaux avec des véhicules performants et plus économiques. La concurrence n’a jamais été aussi féroce, d’autant que pour les consommateurs occidentaux, le prix reste le premier critère, au détriment de la préférence nationale.
Il n’y a pas que la pression asiatique. En Europe, les usines françaises doivent composer avec un coût horaire de main d’oeuvre quatre fois plus élevé qu’en Roumanie, deux fois et demie plus qu’en Slovaquie, et près de deux fois plus qu’en Espagne… D’où la perte de vitesse des sites automobiles de l’Hexagone face aux implantations hors des frontières.
Les équipementiers sont dans la même tenaille mortifère, pris entre des coûts de production élevés, et des concurrents asiatiques qui se sont discrètement taillés de confortables parts de marché dans l’hexagone. En vingt ans, les pneus chinois ont acquis près du quart du marché (avec des percées notables dans les véhicules industriels), à des prix globalement 30% moins élevés que les marques occidentales. « Au sein du groupe Michelin, l’Europe est deux fois plus chère que la Chine », souligne Florent Menengaux, président du manufacturier de Clermont-Ferrand.
Dans ce contexte, la Chine est aussi devenue le premier fabricant mondial de pneumatiques. Ce qui oblige les marques comme Michelin (qui a vu ses ventes baisser de 4,6% depuis le début de l’année), mais aussi le Japonais Bridgestone et l’Américain Goodyear, à chercher de nouvelles marges de compétitivité. Sous peine de voir les consommateurs, à l‘affût de toutes les économies possibles, se détourner encore plus de leurs productions. Et la préférence nationale ne joue pas plus pour les pneus que pour les autos, surtout à de tels niveaux de concurrence.
L’origine du mal
Au coude à coude avec Bridgestone sur le podium mondial des manufacturiers, Michelin n’emploie plus en France que 19.000 salariés sur 132.000 dans le monde. Pourtant, affirme la direction, la fermeture des usines de Cholet et de Vannes ne viserait pas à opérer des délocalisations à l’étranger, mais à concentrer les activités sur d’autres sites en France pour optimiser les capacités de production. Mince consolation pour les 1254 salariés qui vont perdre leur emploi, et qui comptent bien influer sur l’affectation des 2 milliards d’euros de résultat net de Michelin en 2023, ainsi que sur l’utilisation des 42 millions d’euros versés par l’Etat l’an dernier au titre du crédit impôt recherche.
Michel Barnier a affiché sa fermeté au sujet de ces aides, même si elles ne concernent pas spécifiquement les deux sites menacés et ne constituent pas un avantage exceptionnel pour Michelin. Ces coups de menton ne serviront qu’à la communication du gouvernement. Ce crédit impôt recherche s’inscrit dans le package des mesures de l’Etat destinées à compenser partiellement le différentiel de coût du travail en France, avec la baisse de l’impôt sur les sociétés, ou encore le crédit impôt compétitivité emploi (CICE) instauré en 2014 par François Hollande et transformé en 2019 en allègement de charges sur les bas salaires.
Mais selon toutes probabilités, ces aides ne suffiront pas. Les entreprises françaises restent handicapées par leurs coûts de production et par le montant des charges sociales. Là se situe l’origine du mal. À la traîne en Europe, le secteur manufacturier ne fournit plus que 11% du produit intérieur brut français (contre 17% de moyenne européenne). Au moment où la mutation électrique s’impose, et si aucune nouvelle mesure de fond ne vient restaurer la compétitivité, la filière automobile française roule vers de nouvelles épreuves.