Pourquoi le Hamas résiste toujours et encore

par Jean-Paul Mari |  publié le 07/06/2024

Après huit mois d’un séisme dont on est loin de voir la fin, la guerre n’a pas baissé d’intensité face à l’étonnante résistance du Hamas.

Des combattants palestiniens de la branche armée du Hamas près de la frontière dans le centre de la bande de Gaza- Photo MAJDI FATHI / NurPhoto

Huit mois de plus : la guerre à Gaza, qui a commencé en octobre 2024, pourrait durer jusqu’au Jour de l’An 2025. Cette affirmation est passée pratiquement inaperçue. D’où vient-elle ? De la bouche de Tzahi Hanegbi, le conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre Benjamin Netanyahou.

Le constat est accablant. L’armée israélienne est une armée moderne et sophistiquée, elle dispose de soldats rompus à la guerre, a mobilisé 300 000 réservistes, utilise des tanks, des hélicoptères, des F16, des missiles guidés, des systèmes de communication et de renseignement dernier cri… et du puissant soutien des États-Unis. Tsahal a lancé l’opération « Épée de fer » et investi la Bande de Gaza en octobre dernier, déversé 45 000 tonnes de bombes sur les 365 km2 de la bande de Gaza, soit 123 bombes au km2, sur une zone peuplée de plus de 2 millions d’habitants. Les raids permanents ont rasé une partie des villes, transformant le paysage en un amas de ruines informes avec un bilan humain de 32 à 35 000 morts, essentiellement civils. Et pour quel résultat ?

Certes, Israël affirme avoir tué ou neutralisé une part importante des combattants du Hamas, qui seraient passés de 20 à 25 000 avant l’attaque à 9 à 12 000 aujourd’hui. Pour des pertes israéliennes somme toute minimes de 300 soldats tués.  Mais la question essentielle est ailleurs. Elle est posée par le Hamas, capable de tirer encore récemment, à partir de la zone de Rafah investie et bombardée, une volée de roquettes qui a contraint les habitants de Tel-Aviv à gagner les abris en urgence. Ou par ces groupes de combattants qui apparaissent ici ou là, surgissant de terre dans des zones au Nord, à Gaza ou Khan-Younès, que l’on croyait nettoyées, et qui viennent harceler l’armée israélienne, voire se permettent d’établir… un contrôle militaire et civil des populations rescapées. Après huit mois de séisme, la question est : pourquoi et comment le Hamas résiste-t-il encore ?

Préparation minutieuse

Bien sûr, le Hamas s’était minutieusement préparé, depuis des mois, voire des années. Témoin l’attaque coordonnée du 7 octobre dernier. Quand on est un combattant du Hamas sous l’autorité de chefs comme Yahya Sinwar ou Mohammed Deif, enfermé entre mer et désert derrière les barrières de sécurité qui clôturent la bande de Gaza, on ne vit, mange, boit, dort, respire qu’en pensant à la « grande bataille finale », censée en finir avec « l’ennemi sioniste ». Des années passées à creuser un immense réseau de galeries souterraines, d’abord très utiles à l’introduction des marchandises de contrebande, du troupeau de moutons sur pieds aux médicaments, et ensuite aux armes, kalachnikovs, grenades, RPG antichars, roquettes, etc., le tout avec le soutien de l’extérieur, l’Iran en particulier, toujours enclin à armer l’ennemi des Juifs. Un profond réseau souterrain de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres, parfaitement cartographié, parsemé de bunkers et de caches d’armes, souvent creusé sous des zones densément peuplées, une toile d’araignée du Sud au Nord, parfois jusqu’à Israël, à l’abri des bombardements en surface, utile au déplacement e, à la communication entre les différentes unités, la protection des commandements et des chefs des groupes militants. Sans compter le dernier usage : la détention et le déplacement constant des otages.

Les otages, bien sûr. Une arme sale, mais très efficace, qui freine l’action de l’armée israélienne et embarrasse le pouvoir politique. La guerre les tue aussi, les manifestations des familles qui demandent un cessez-le-feu pèsent dans l’opinion. Sur le terrain, l’armée doit prendre le temps et les précautions indispensables quand elle détruit immeubles et tunnels. À Jérusalem, Benjamin Netanyahou, pris dans le nœud gordien de la combinaison otages-tunnels, doit faire très attention à montrer le soin qu’il prend à éviter un massacre général. Tout en refusant un cessez-le-feu qui permettrait au Hamas de se remettre en condition, alors qu’il a promis son « anéantissement total ».

Lourdes pertes

À Gaza, le Hamas souffre et enregistre de lourdes pertes, nul doute n’est permis. Mais on ne peut qu’être impressionné par la capacité de ses combattants à ressurgir sans cesse, en dépit du feu, et surtout par leur faculté d’adaptation. Face au marteau-pilon de Tsahal qui se rapproche de Rafah, la ville-frontalière au Sud, les hommes du Hamas s’appuient désormais plutôt sur des embuscades et des bombes improvisées (IED) pour atteindre des cibles souvent situées derrière les lignes ennemies.

On est loin d’une bande de terroristes qui courent dans les ruines la tête enroulée dans un chèche. Vivre à Gaza consiste pour les militants en un entrainement permanent, entre le creusement des galeries, la fabrication d’un nombre stupéfiant de roquettes et l’instruction des commandos, physiquement, psychologiquement et militairement. Au fil du temps, Gaza est devenu un vaste camp d’entrainement à la guérilla. Et les soldats de Tsahal ont face à eux de vrais guerriers, qui ne voient d’autre issue que la mort au combat, en « shahid » (martyr) et se battent chez eux, au milieu d’une population, voisins, amis, famille, qu’ils contribuent à faire souffrir, mais qui, pour l’instant, et face à l’« agression israélienne », ne peuvent que les soutenir.

Après ? Au Liban, en 2006, le Hezbollah s’est « excusé » auprès de la population des dommages causés par la guerre. Après seulement.

Benjamin Netanyahou, lui, a d’autres références. Il se rappelle qu’après la guerre du Kippour, qui, en 1973, avait surpris la défense d’Israël, et à la suite d’une commission d’enquête officielle, la Commission Agranat, la pression publique et politique avait conduit à la démission de Golda Meir, remplacée par Yitzhak Rabin comme Premier ministre. Il sait que, dès l’arrêt de la guerre à Gaza, ses jours politiques seront comptés.

Huit mois de guerre encore à Gaza, a annoncé son conseiller à la Sécurité nationale ? À l’heure où l’Amérique risque de retomber entre les mains d’un président irresponsable et quand on voit la résistance qu’oppose le Hamas à l’armée d’Israël, on peut craindre que ce ne soit qu’un strict minimum.

Jean-Paul Mari