Poutine tisse sa toile en Afrique
L’«isolement » de Poutine en Europe est une illusion. En Afrique, c’est encore plus flagrant…
À garder les yeux trop fixés sur nous-mêmes – élections européennes, dissolution, législatives… -, on en oublie ce qui se joue ailleurs. Poutine, de fait renforcé par la vague brune en Europe, est aussi plus présent que jamais en Afrique. Le récent déplacement dans quatre pays de son ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavroff, en est la meilleure illustration. Pour renforcer la stratégie d’alliances de Moscou, mais aussi pour dissuader ces pays de prendre part à toute conférence sur la paix en Ukraine, qui mettrait la Russie en difficulté par rapport à l’Occident.
En Guinée, la bauxite et ses opérateurs russes furent au cœur des échanges. Non seulement les Russes importent le minerai guinéen sans transformation préalable et maitrisent donc la valeur ajoutée, mais ils possèdent les voies de chemin de fer qui conduisent de la mine au port de Conakry. De même, les Russes sont propriétaires du terrain et des locaux de leur ambassade à Conakry, alors que les Guinéens ne sont que locataires à Moscou pour leur propre ambassade.
Des défauts de souveraineté que la Guinée de Dombouya, le chef de la junte, aimerait corriger mais dont on devine que la Russie saura en faire payer le prix par d’autres concessions, notamment sur les plans militaire et politique. Russie pour l’aluminium, Chine pour le fer avec le gisement de Simandou : la Guinée se targue certes de sa « neutralité dans un contexte de tiraillements entre puissances »… mais ses principales ressources ne lui appartiennent plus vraiment.
Au Congo, Lavroff a probablement prononcé son discours le plus offensif contre « l’Occident », dénonçant en particulier son attitude en Ukraine, antienne connue, mais aussi en Libye, dont l’Occident serait également responsable du chaos actuel. D’où son soutien à l’initiative prise par le président Denis Sassou Nguesso d’organiser une conférence inter-libyenne, recevant en retour la « compréhension » du Congolais pour la guerre menée en Ukraine. La visite que rendra Nguesso à Moscou d’ici quelques semaines pourrait confirmer cette évolution d’alliances.
Au Burkina, Lavroff était déjà en pays conquis, tant les Russes y sont présents et tant cette coopération militaire va s’étendre, comme l’a confirmé Lavroff. Pour le Burkina, mais aussi pour le Mali et le Niger. Moscou souhaite ainsi clairement s’affirmer comme le parrain de cette nouvelle alliance des pays du Sahel.
Au Tchad, dernière étape de son périple, Lavroff a confirmé le souhait de Poutine d’étendre sa zone d’influence, à travers notamment la question de la Libye et du Soudan. Un demi-million de Soudanais se sont en effet réfugiés au Tchad depuis le début de la guerre civile en cours, et même si officiellement le pays se déclare neutre, il abrite en fait les bases arrières du général Hemetti, en guerre contre son rival Burhane, plutôt soutenu par les États-Unis. Le président Déby, qui s’est rendu à Moscou en janvier dernier, se plaint de ne pas être assez soutenu par la communauté internationale face à cet afflux de réfugiés, et pourrait donc être tenté par le soutien apporté par Moscou.
D’où la perspective désormais esquissée, si l’on tient compte des implantations russes déjà solides en Centrafrique et en Libye, d’une zone sous forte influence russe, allant du Golfe de Guinée à la mer Rouge. De quoi permettre à Poutine de montrer que non seulement il n’est pas isolé, mais que son futur empire africain se dessine !