Presse : les macronistes contre l’indépendance

par Laurent Joffrin |  publié le 03/04/2024

Avec l’appui des sociétés de journalistes, le groupe écologiste de l’Assemblée présente aujourd’hui une proposition visant à donner aux rédactions un droit de regard sur la nomination de leur directeur. Encore faudrait-il que les macronistes l’acceptent…

Laurent Joffrin

Prédominance absolue des actionnaires de médias, ou bien équilibre des pouvoirs entre rédactions et propriétaires ? Depuis plusieurs mois, professionnels de la presse et élus hésitent entre ces deux voies. Plus précisément, depuis que Vincent Bolloré a mis la main sur le Journal du Dimanche et imposé un directeur de rédaction conforme à ses vues politiques, provoquant le départ de la plupart des journalistes de l’hebdo du dimanche.

Au départ, une nette majorité de députés, sauf le RN et LR, semblaient pencher pour l’équilibre, acceptant le principe d’un droit de veto conféré aux rédactions sur la nomination de leur directeur. Ce système, mis en place à Libération et au Nouvel Observateur avec le concours de l’auteur de cette lettre, mais aussi dans le groupe Le Monde, à La Croix ou aux Échos, est le seul qui puisse garantir, autant qu’il est possible, une réelle indépendance des rédactions. Il oblige actionnaires et journalistes à s’entendre sur le nom d’un candidat commun, qui réponde à la fois aux attentes économiques des actionnaires et au souci d’autonomie rédactionnelle cher aux journalistes.

Le principe est simple : les propriétaires nomment les responsables de la gestion des journaux et proposent un candidat au poste de directeur de la rédaction. C’est seulement si la rédaction considère que ce candidat n’est manifestement pas à la hauteur, ou bien s’il défend des idées contraires à l’identité du titre, qu’il peut être récusé. Il revient alors aux actionnaires d’en trouver un autre.

Généralisation

Utopie ? Usine à gaz ? Soviet légalisé ? En aucune manière. Dans la plupart des journaux cités, il fonctionne depuis des années, pour des titres prestigieux qui peuvent ainsi concilier qualité du management et liberté journalistique. Les sociétés de rédacteurs de la presse, quasi unanimes, demandent sa généralisation, et une proposition du groupe écologiste, examinée aujourd’hui 4 avril à l’Assemblée, prévoit de leur donner force de loi.

Seulement voilà : la droite et l’extrême-droite, qui ne voient aucun inconvénient à laisser aux actionnaires l’entièreté du pouvoir, se sont déclarés hostiles. Les patrons de presse réunis dans leur organes professionnels mènent un intense combat de lobbying contre cette disposition, qui limiterait leur pouvoir. Du coup, la majorité macronienne, favorable à cette perspective à l’origine, se sent soudain prise d’un accès de faiblesse. Impressionnée par cette levée de boucliers patronale, elle s’apprête à voter contre, pour renvoyer le sujet aux États généraux de l’information, réunis à l’initiative d’Emmanuel Macron et présidés par le responsable de Reporters Sans Frontières, Christophe Deloire, qui doivent rendre leurs conclusions cet été. Ce qui revient probablement à enterrer le projet, puisque les mêmes patrons de presse y exercent une forte influence. L’été dernier, le coup de force de Vincent Bolloré au JDD avait suscité une émotion nationale, le gouvernement semblait prêt à réagir. Six mois plus tard, cette mâle volonté de résistance a fondu comme neige au soleil du capital.

Laurent Joffrin