Proche-Orient : avant l’incendie
L’attaque de samedi soir contre Israël a créé une situation nouvelle, qui fait craindre un embrasement général. Il est encore temps de maîtriser les flammes. par François Hollande
Dans la nuit de samedi, à dimanche, l’Iran a déclenché une attaque de drones et de missiles dont l’objectif était de détruire des sites militaires au cœur même de l’État hébreu. La veille, un commando iranien avait saisi un navire qui naviguait en mer Rouge, au prétexte qu’il était lié à Israël.
Téhéran veut ainsi répondre à l’opération menée par Israël, le 1er avril dernier, sur le consulat de l’Iran à Damas, qui a fait plusieurs morts, dont deux généraux des Gardiens de la Révolution. Depuis plusieurs jours, les dirigeants iraniens annonçaient qu’ils allaient frapper Israël sans donner ni le moment ni les modalités. Dans le même temps, ils faisaient monter en ligne leurs « proxys » qui multipliaient les actes hostiles.
« Tout laisse penser que l’Iran préférerait s’arrêter là, considérant qu’il a sauvé la face et satisfait sa promesse de punition »
Le Hezbollah au Liban a lancé des dizaines de roquettes – et continue d’ailleurs de le faire ; les Houtis, qui contrôlent l’ensemble du Yémen hormis une partie du sud, lancent depuis plusieurs mois des attaques de drones et de missiles sur tout navire qui passe par le détroit de Bab el-Mandeb. Mais ce qui s’est passé cette nuit est d’une gravité et d’une dimension qui créent une situation nouvelle. Deux questions se posent.
Jusqu’où l’Iran veut-il aller ? Tout laisse penser qu’il préférerait s’arrêter là, considérant qu’il a sauvé la face et satisfait sa promesse de punition. Il sait que s’il allait plus loin, il encourrait une réplique d’une tout autre ampleur de la part d’Israël. Il sait surtout que les alliés de ce pays, dont la France – et bien sûr les États-Unis – seraient aux côtés de l’État hébreu et contribueraient non seulement à protéger le territoire israélien, mais à assurer l’efficacité de sa frappe en retour.
Seconde question : que va faire Israël ? Certes, ses alliés lui demandent de la retenue. Mais le gouvernement de Netanyahou peut saisir cette occasion, à la fois pour poursuivre ses actions à Gaza et en finir, prétend-il, avec le Hamas mais aussi pour infliger à l’Iran des destructions qui le priveraient de toute possibilité ultérieure de menacer le territoire israélien.
Doit-on laisser cette escalade se poursuivre ou est-il encore possible de l’arrêter ? L’Iran cherchera à obtenir un gain : sûrement le cessez-le-feu le feu pour Gaza, s’il est encore possible. Mais de ce point de vue, cet objectif n’est pas contradictoire avec le but que poursuit la communauté internationale, sans que l’on puisse savoir si Israël est prêt, lui aussi, à accepter la cessation des hostilités.
« La Chine et même la Russie savent que c’est aussi l’intérêt de l’Iran – et le leur – de s’arrêter là »
Il est donc nécessaire qu’il y ait une médiation. La Chine et la Russie ont offert leurs bons offices, mais la France figure aussi parmi les pays susceptibles de faire comprendre à l’Iran qu’il aurait plus à perdre qu’à gagner s’il se lançait dans un bras de fer qu’il a d’ores et déjà perdu, et qu’il aurait donc intérêt à peser sur le Hamas pour lui faire accepter la libération des otages et l’arrêt des hostilités, au moins pour un temps. La Chine et même la Russie savent que c’est aussi l’intérêt de l’Iran – et le leur – de s’arrêter là.
L’Iran est leur allié. C’est l’Iran qui fait en sorte que la Russie puisse échapper en partie aux sanctions. C’est l’Iran qui fournit des armes à la Russie et c’est toujours l’Iran qui permet à la Chine de pénétrer davantage au Moyen-Orient, notamment quand Xi-Jinping a pu mener une médiation qui a permis de rapprochement entre l’Arabie Saoudite et le régime des mollahs.
Néanmoins, le scénario du pire est possible, celui où Israël pousse son avantage, résiste aux pressions internationales, oblige ses alliés à le suivre et entraîne l’ensemble de la région dans une escalade. L’Iran serait conduit à réagir ce qui nous projetterait dans l’inconnu. D’autant qu’au sein du régime de Téhéran, un certain nombre de groupes, notamment les Gardiens de la révolution, veulent se venger de l’attaque israélienne et craignent même pour leur avenir. Ce scénario mettrait en danger l’ensemble du monde. L’embrasement ne serait pas simplement celui du Moyen-Orient, compte tenu des puissances qui soutiennent d’un côté l’Iran et de l’autre Israël. Toutes les conditions seraient alors réunies pour un conflit qui pourrait devenir incontrôlable.
Il est encore possible de l’éviter. Si le feu a été mis, il n’a pas véritablement pris. Israël n’a pas été touché significativement, c’est le moins que l’on puisse dire, et l’Iran a montré une capacité technologique certaine, même si Israël a finalement pris le dessus. Mais les torches sont là : il suffit d’un combustible. La plupart des puissances, les démocraties autant que les régimes autoritaires, ont tout intérêt à faire cesser le jeu iranien et à empêcher Netanyahou d’aller plus loin. Ces torches sont imprudemment répandues. Il s’agit de les éteindre au plus vite.