Profs : la fin du rêve
De plus en plus de professeurs, même stagiaires, quittent le navire. Dégoûtés par une formation a minima, des salaires faibles, les violences, les programmes surchargés et les réformes à répétition…
On le sait, le métier d’enseignant séduit de moins en moins les jeunes. Mais un autre phénomène est en train d’émerger, tout aussi préoccupant : pendant l’année scolaire 2020- 2021, près de deux mille cinq cents professeurs ont démissionné, soit six fois plus qu’en 2008 – 2009 !
Le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a beau minimiser la situation, en affirmant qu’il ne croit pas à une crise des vocations, le Sénat a, dès 2022, qualifié la situation de « signal extrêmement inquiétant ».
Pourquoi une telle désertion ? Après un an de formation en Bretagne, sa région Séverine (1), 28 ans, a atterri dans un collège de l’Essonne (91) classé REP, Réseau d’Éducation Prioritaire, au cœur d’une cité, où la jeune femme est restée deux ans. Dans son collège, elle est la seule à avoir démissionné, mais assure que d’autres collègues voulaient eux aussi partir.
Témoignage :
« C’est décourageant de voir qu’on est seul pour gérer toutes ces difficultés ! »
« J’ai toujours voulu travailler avec des jeunes, mais il y a trop de problèmes au quotidien. Le premier, c’est le déracinement. Si je n’avais pas démissionné, j’aurais dû rester dix ans en région parisienne, c’est long !
Plus grave : beaucoup d’élèves ont d’immenses difficultés scolaires. L’an dernier, sur 28 enfants en 5e, une douzaine avait du mal à lire une consigne de lecture simple. En 3e, c’était plus d’un quart ! Certains ne réussissaient même pas à compter sur leurs doigts ! L’un de mes élèves de 3e avait un niveau de math de… CM1 ! Au total, sur mes vingt et un élèves de 3e, seuls sept ont eu le brevet.
« On n’est pas formé pour affronter de telles différences de niveau »
On n’est pas formé pour affronter de telles difficultés. Pendant la formation, on nous parle de “différenciation” de niveau, mais on ne nous explique pas comment porter les bons élèves sans laisser de côté ceux qui ont des lacunes.
C’est d’autant plus difficile que les programmes sont surchargés. En trois ans, je n’ai jamais réussi à les terminer. On n’a pas le temps d’aider les élèves qui ne suivent pas. Pire : les programmes de mathématiques, très théoriques, ne permettent vraiment pas d’intéresser les élèves. C’est dommage, car la matière pourrait être enseignée de manière ludique.
« La violence, elle est aussi du côté des enseignants ! »
Résultat : le système est très inégalitaire ! Il favorise les élèves qui ont des facilités, et ceux dont les familles peuvent payer des cours de soutien, et il délaisse les autres. C’est triste de voir tous ces jeunes à la dérive, et décourageant de voir qu’on est seul pour gérer ces difficultés !
Sans parler de la violence. Elle n’est pas seulement du côté des jeunes, mais vient aussi des enseignants eux-mêmes. Beaucoup ont un comportement horrible avec les élèves. Il faut voir comment certains traitent les élèves, en les humiliant ou en leur criant dessus. Parfois, on les entend à travers les murs ! Les élèves peuvent se faire exclure, les profs rarement ! »
(1) Le prénom a été changé
Sandrine Trouvelot