Programme de la gauche : l’obstacle du réel
Les propositions économiques et sociales du nouveau Front populaire, si nécessaires puissent-elles être, ne sont pas sans risques
En mars 1983, après presque deux ans de stricte application du programme commun, François Mitterrand annonce « le tournant de la rigueur. » Fin des facilités de l’idéal, retour aux difficultés du réel. Lors d’une conversation, le secrétaire général de la CFDT, Edmond Maire, avec un petit sourire en coin, me lâche: « plaisir d’amour ne dure qu’un moment, chagrin d’amour dure toute la vie. »
Le SMIC a été augmenté de 10 %, le minimum vieillesse de 20, les allocations familiales de 25. 55 000 emplois ont été créés dans le secteur public. Voilà pour les plaisirs. Le déficit budgétaire est passé de 1 à 3,5 % du PIB. L’inflation galope. Les dévaluations se multiplient. Le chômage augmente. Voilà pour les chagrins. Belle chanson, mais triste histoire.
Le débat est alors vif entre ceux qui veulent sortir du Serpent monétaire européen qui régule les taux de change entre monnaies des pays membres de la CEE, au risque d’isoler la France, de la faire sortir de la construction européenne et ceux qui s’y refusent comme le Premier ministre, Pierre Mauroy et Jacques Delors, son ministre de l’Économie. Ils auront gain de cause. La France d’alors est en bien meilleure situation économique que celle d’aujourd’hui avec sa dette abyssale, son déficit du commerce extérieur colossal, et son déficit budgétaire magistral. Et l’on en vient donc à se demander ce qu’il adviendrait, si les propositions du programme actuel du nouveau Front populaire étaient mises en œuvre.
Et si l’on comprend bien les nécessités politiques d’une alliance électorale face au péril absolu du Rassemblement national, on en admet moins bien les finalités économiques telles qu’elles résultent des débats entre composantes de ladite alliance. En résumé, il ne faudrait pas que la politique détruise l’économie. L’examen, une à une, des principales dispositions du projet s’impose. La hausse de 200 euros du SMIC net pour le porter à 1600 euros ne peut choquer.
Les salaires français sont bas au regard de nos voisins. Mais une augmentation brutale de 15 % risque de sérieusement mettre à mal la masse salariale de bon nombre de petites et moyennes entreprises, provoquant son lot de licenciements, voire de faillites. Et cette hausse aura des effets sur les salaires du SMIC au-dessus qui réclameront à leur tour des augmentations. Les dispositions de soutien aux PME suffiront-elles ?
L’indexation des salaires sur l’inflation risque aussi d’entretenir celle-ci et le blocage des prix des produits de première nécessité n’est pas sans conséquence. Une telle mesure peut empêcher les entreprises de répercuter les augmentations de coût qu’elles peuvent subir. Une taxe sur les superprofits, ceux participants d’un effet d’aubaine en aucune manière dû à des performances accrues de l’entreprise, serait bienvenues étant entendu qu’elle doit s’étendre à l’ensemble de l’Union européenne.
Quant au rétablissement de l’ISF, suppression de la « flat-taxe », instauration d’une disposition empêchant l’exil fiscal et autres mesures anti-riches, elles rapporteront peu au budget de l’État, ne donneront qu’une illusion de justice sociale, sans conjurer les risques de fuites des capitaux.
Les diminutions de la taxe sur l’énergie n’arrangeront pas non plus les finances publiques. Quant au retour à la retraite à 62 ans, très problématique , il ne saurait empêcher la mise en chantier d’une nouvelle et enfin plus juste réforme du système avec des départs à la retraite beaucoup plus diversifiés selon la pénibilité et la date d’entrée dans le monde de travail.
On peut parfaitement imaginer un cadre travaillant jusqu’à 67 ans et un couvreur ou un maçon autorisé à cesser son activité beaucoup plus tôt. Le programme dans son ensemble essentiellement centré sur des avantages pour les salariés et les consommateurs, fait l’impasse sur les entreprises pourtant la clé de toute création de richesse supplémentaire.
Valérie Rabault , socialiste, économiste, vice-présidente de l’Assemblée nationale sortante, chiffre à 106 milliards de dépenses budgétaires supplémentaires le coût des propositions de la gauche. 125 milliards selon les responsables de l’union de la gauche. La députée croit à une relance de la croissance à 3 % et à une baisse progressive du déficit budgétaire, sans cacher ses fortes divergences avec LFI. On a très envie de la croire.