Programme du NFP : quatre questions qui fâchent

par LeJournal |  publié le 12/07/2024

Les mesures prévues par le Nouveau Front Populaire sont-elles applicables ? Quatre exemples, sur lesquels la gauche est dangereusement muette.

Le "Nouveau Front populaire" Photo par JULIEN DE ROSA / AFP

La gauche veut-elle vraiment gouverner ? À observer le ballet un peu ridicule des négociateurs, qui vont de cache en cache depuis des jours, tels des combattants clandestins, sans qu’on n’ait de bilan précis de ces négociations secrètes interminables, on peut en douter. D’autant que les choses n’ont pas l’air d’aller grand train, puisque la France insoumise campe depuis le début sur la même position – LFI à Matignon –, exigence qui déclencherait aussitôt une motion de censure à l’Assemblée si un tel gouvernement se présentait devant elle, avec de bonnes chances d’être votée.

Mais la question va plus loin : la gauche dit toujours qu’elle appliquera le programme qu’elle a concocté en quelques heures après l’annonce de la dissolution. C’est là qu’il faut mettre les pieds dans le plat : sous sa forme actuelle, ce programme est-il applicable ? On ne prétend pas ici apporter une réponse tranchée, définitive, d’autant que des pans entiers du projet sont laissés dans un flou artistique et volontaire. Mais on se contentera de poser des questions, dont on verra vite qu’elles débouchent sur des difficultés majeures.

L’intention générale du projet n’est pas en cause : il s’agit bien de réduire les inégalités sociales, tout en renforçant l’économie française par l’investissement et la relance de la croissance, pour aboutir à une société plus juste et plus respectueuse de la planète. C’est le rôle de la gauche. Autant que des objections techniques, c’est le refus de cet objectif global qui inspire les réquisitoires de la droite, auxquels nous ne souscrivons évidemment pas.

Encore faut-il s’assurer de la faisabilité de ces mesures, des conséquences qui peuvent en résulter et des risques que le programme fait courir, non seulement aux classes dirigeantes, qui seront justement mises à contribution, mais aux Français dans leur ensemble. On se limitera à quatre questions, même si bien d’autres problèmes restent en suspens.

Et le financement ?

La gauche prévoit d’accroître sensiblement, dès l’été, le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes (SMIC, prestations diverses, salaire des fonctionnaires, retraites revalorisées, etc.). Louable objectif, nécessaire remise à niveau. Mais peut-on mettre toutes ces mesures en œuvre d’un seul geste estival, sans en évaluer sérieusement le coût ? Deux chiffrages sont apparus : l’un évalue les dépenses du programme à 150 milliards (version LFI), l’autre à 100 milliards (version PS, sous la plume de Valérie Rabaut, ex-députée, spécialiste respectée des questions budgétaires). On conviendra que ce décalage de 50 % laisse un sentiment d’incertitude…

Le PS argue que ces dépenses sont financées par un accroissement brusque de la fiscalité sur les plus favorisés. Fort bien : c’était aussi le raisonnement de Valérie Rabaut. Mais LFI parle de 150 milliards. Interrogé sur ce point, Éric Coquerel, ancien président LFI de la commission des Finances, explique que ce surcroît de dépense sera financé par une meilleure croissance. Argument keynésien classique : la relance augmente la production et donc la base imposable, on retrouve l’équilibre en fin de cycle. Mais que se passera-t-il si la croissance n’est pas au rendez-vous, faute d’un appareil productif suffisamment réactif et compétitif (chacun sait qu’il n’est guère vaillant) ? D’autant que les charges des entreprises doivent augmenter elles aussi brusquement. Et si les produits achetés grâce à cette hausse de pouvoir d’achat sont surtout des produits importés ? Le déficit extérieur du pays, déjà massif, en sera aggravé d’autant. Dans ce cas, la relance française relancera surtout… les économies étrangères. La gauche avait expérimenté ce phénomène en 1981, ce qui avait conduit aux dévaluations de la monnaie et au « tournant de la rigueur ».  Est-on certain d’éviter cette fois le même écueil ?

La clause anti-européenne

Le même programme prévoit de « refuser le pacte de stabilité budgétaire » européen. Ainsi, un gouvernement qui se dit pro-européen annonce d’emblée qu’il récuse un principe décidé depuis longtemps par l’Union et appliqué de surcroît avec la plus grande souplesse, comme on l’a vu au moment des crises financières ou du Covid. Étrange défi lancé d’emblée à nos partenaires, contraire à toutes les traditions européennes de concertation et de négociation. Et n’est-ce pas annoncer d’entrée de jeu qu’on s’assoit franchement sur toutes les règles de prudence budgétaire admises en Europe ? Imaginons que les marchés, dont nous dépendons chaque jour pour le refinancement de nos 3 000 milliards de dette, prennent cette déclaration au mot et décident que la France devient un pays à risque, auquel on inflige un taux d’intérêt accru ? A-t-on évalué le coût d’un tel revirement sur les finances publiques ?

Silence atomique

Un mot manque dans le texte : « nucléaire ». On comprend que les négociateurs, pressés par le temps, n’ont pas voulu ouvrir cette boîte de Pandore politique, puisque communistes et socialistes sont favorables à l’énergie nucléaire, tandis que LFI et une partie des écologistes veulent s’en débarrasser. Dès lors, comment luttera-t-on contre le dérèglement climatique, comment protégera-t-on l’indépendance énergétique du pays ?  Mystère et boule de gomme. Voilà qui ne risque pas de rassurer une opinion très sensible, justement, à ces questions énergétiques.

Quid de l’immigration ?

Autre question, tout aussi délicate. Le programme prévoit un meilleur accueil des immigrés, un plus grand libéralisme dans le traitement des demandes d’asile, la régularisation de ceux qui sont là, l’instauration de nouvelles voies légales, la création d’un statut de « déplacé climatique », etc. Fort bien : il faut effectivement améliorer l’accueil des immigrés. Mais quid des entrées ? Seront-elles régulées, et comment ? Crée-t-on sans le dire d’un « droit d’installation » des étrangers en France, sans limite ? Ou bien, s’il y a des limites, comment seront-elles définies et appliquées ? Quid des contrôles aux frontières de l’Europe, contestées par la gauche ? Quid des « obligations de quitter le territoire français » (OQTF) ? Abolies ? Appliquées à moins de 10 % comme aujourd’hui ? Et comment faire admettre une telle inflexion à un pays qui estime, aux deux tiers, qu’il faut maîtriser mieux les entrées ? A-t-on réfléchi, un tant soit peu, aux conséquences de ce libéralisme nouveau sur le vote RN ?

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