Public-privé :  madame la ministre se tire une balle dans le pied

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 21/01/2024

Amélie Oudéa-Castéra, par ses déclarations maladroites a relancé les débats entre école privée et école publique. Mais de quoi parle-t-on aujourd’hui ? 

La nouvelle ministre de l’Éducation nationale et des Jeux olympiques et paralympiques a réussi une entrée tonitruante dans son nouveau stade. Non pas parce qu’elle a choisi de mettre ses enfants dans l’enseignement privé, ce choix est légitime en France. Mais, voulant se justifier ,  elle a tenu des propos désobligeants pour l’école publique et ses enseignants. Qui plus est ,  l’établissement incriminé a donné lieu à un rapport d’enquête sévère des autorités académiques.

Mais oublions « la polémique du moment » pour rappeler ce qui rapproche et sépare l’enseignement public de l’enseignement privé sous contrat avec l’État. La ministre doit d’abord se souvenir qu’elle porte la responsabilité des deux types d’enseignement et qu’elle serait bien mal venue de les opposer. C’est l’un des heureux héritages de la loi Debré de 1959 que d’avoir instauré une paix scolaire qui, malgré quelques soubresauts, parfois importants comme en 1984, tient plutôt fermement.

Enseignement public et enseignement sous contrat (dont 80 % est catholique) se distinguent sur plusieurs points. D’abord par le caractère payant du privé malgré les bourses ou les divers régimes d’aide existants. Ensuite par le « caractère propre » de l’enseignement privé qui, tout en respectant les programmes et les exigences de l’enseignement du public, l’autorise à développer certaines spécificités sur le plan pédagogique ou spirituel (dont les pratiques religieuses).

Sur un plan plus quantitatif, il s’avère que le rapport entre le nombre d’élèves des deux enseignements, depuis 40 ans, demeure constant dans le temps : entre 13 et 14 % d’élèves du primaire dans le privé, entre 20 et 22 % dans le secondaire.

Les élèves sont plus nombreux par classe dans le privé. Pour le primaire en 2022, la moyenne était de 21,1 élèves dans le public, de 24,5 dans le privé. En collège, le nombre d’élèves par classe a plutôt augmenté dans les quinze dernières années, mais plus fortement dans le privé que dans le public (23,4 en 2022 dans le public, 26,2 en 2022 dans le privé).

Au lycée, où la notion de classe a toutefois perdu un peu de son sens avec les dernières réformes, les ratios sont très proches : autour de 24-25 élèves en filière générale et technologique, mais plus élevés dans l’enseignement professionnel privé, (15 élèves contre 16-17).

 C’est surtout sur l’origine sociale des élèves qui différencie les deux enseignements. Au collège, le public accueille 43 % d’élèves défavorisés et 19,3 % de très favorisés. La proportion est presque inverse dans le privé ,18,2 % pour les premiers, 40,6 pour les seconds. Au lycée, le phénomène reste identique : 31,2 % d’élèves défavorisés et 28,7 % de très favorisés dans le public, 12,3 % pour les premiers, 50,4 % pour les seconds dans le privé. Le phénomène s’accentue pour les séries générales.

Sur le plan qualitatif, la valeur de l’enseignement délivré étant largement fonction de la façon dont les élèves sont sélectionnés, on devine, au vu de ces différentes répartitions sociales, que rien ne permet de se prononcer sur les qualités respectives des deux enseignements. L’un et l’autre se partagent les bons et les mauvais établissements.

Du coup, le choix des parents, outre l’évidente question financière, interroge , y compris pour la ministre. Certains privilégient certainement des aspects subjectifs importants pour eux, en matière de foi religieuse, ou de pratique pédagogique.

Reste que l’entre-soi au sein des classes les plus favorisées peut apparaitre comme un élément important de ce choix. Certains l’assument, d’autres auront plus de mal à le faire comprendre.

Jean-Paul de Gaudemar

Chronique Société - Education- Afrique