Pubs anglais : chefs-d’œuvre en péril

publié le 25/11/2023

560 pubs ont fermé en 2022. 15 000 ont disparu en 20 ans, victimes de la forte inflation britannique qui accélère leur déclin. Il n’en reste que dont la disparition serait un drame national. Par Pierre Feydel

D.R

Il y eut d’abord les Romains qui constellèrent leur Britannia, à partir de 40 ans avant Jésus-Christ, de « tavernae », sorte de bistrots. Les invasions des peuples germaniques, Angles et Saxons chasseront ces premiers occupants. Arrivent ensuite les Vikings. Vers 860 après Jésus-Christ, des Danois s’installent sur les côtes britanniques. Ils amènent avec eux une boisson à base d’orge, sans houblon : l’« öl » »  que les Anglais transforment en « ale » .

Au Moyen-âge, on brasse partout : dans les monastères, comme chez les particuliers. C’est la maitresse de maison qui s’occupe de la bière. Les plus talentueuses de ces « ale-wife » attirent le voisinage par la qualité de son breuvage. On se réunit chez elle pour l’apprécier. On s’y donne rendez-vous. Sa maison devient une« public-house », les pubs. Leur succès viendra sans doute de là, du caractère privé de leur origine qui induit une ambiance douillette et chaleureuse.


Le phénomène est tellement répandu que le roi Richard II doit légiférer pour mettre un peu d’ordre dans cette prolifération de débits de boisson qui sont aussi parfois des auberges. Le fils du « prince noir » va connaître un règne agité. Avant de mourir, en 1400, incarcéré et sans doute assassiné dans sa prison, il promulguera un texte qui va officialiser l’existence des pubs en tout cas des lieux où leur activité s’exerce.

À partir de 1393, chaque habitation où se trouvera un brassin, une cuve à brasser, devra accrocher au-dessus de sa porte, un bâton où une branche. Ses repères des brasseries deviendront vite les supports des enseignes peintes qui fleuriront dans le paysage urbain britannique pour les siècles à venir. Au début du XVIé siècle il y a 500 pubs en Angleterre. 400 ans plus tard, des dizaine de milliers prolifèrent dans les îles britanniques.

Chaque village a le sien. On y boit, on y discute, on y chante, on y célèbre les joies et les peines, mais surtout on s’y retrouve, ensemble. Les noms propres que chacun de ses havres de convivialité se donne évoquent l’histoire ou tout simplement la vie. Références aux animaux, à la noblesse sont encore aujourd’hui les plus nombreux. On compte 518 « Red Lion » (lion rouge), 426 « Queen’s head » (la tête de la reine), « Queen’s arms » (les armes de la reine), ou Queen’s quelque chose.

Les héros sont célébrés :  « The Lord Nelson » ou encore « The duke of Wellington. » Mais aussi les loisirs tels la chasse : « Fox and Hounds » « (le renard et les chiens). La révolution industrielle amène “The engineers” ou “The railway” (le chemin de fer). Le XVIIème siècle et le XIX sont l’âge d’or des pubs.

S’il fallait une preuve supplémentaire de la place qu’occupent les pubs dans la culture britannique, il suffirait de citer les habitués des plus vieux d’entre eux. Le “Ye Olde Cheschire Cheese” (le vieux fromage du Cheschire), se situe à Londres, à Fleet Street, l’ancien quartier des grands journaux. Il a vu le jour en 1538. Ses habitués s’appelaient Mark Twain, Arthur Conan Doyle ou encore Charles Dickens. Le “Seven Stars” (le sept étoiles) dans le quartier d’Holborn, date lui du règne d’Élisabeth 1ère, puisqu’il a ouvert en 1602. William Shakespeare l’aurait fréquenté.

Les pubs sont non seulement des piliers de la société britannique, mais ils font aussi partie intégrante du patrimoine culturel du Royaume uni. Leur disparition sonnerait le glas d’un art de vivre.