Pyrénées-Orientales : la terre a soif

publié le 02/03/2024

Pas une goutte d’eau en vue, le ciel d’un bleu inquiétant, une sécheresse record, et un couple d’agriculteurs qui trouvent malgré tout des solutions …Reportage

Plantation de pistachiers, à Claira, dans le sud-ouest de la France. La culture du pistachier, moins gourmande en eau, est appréciée dans les Pyrénées-Orientales frappées par la sécheresse - Photo Valentine CHAPUIS / AFP

Ce jeudi encore, l’autoroute catalane qui conduit de la France à l’Espagne est fermée à la circulation. Des agriculteurs occupent les lieux. Les blocages paysans, Pierre et Bérengère ESPEJO (mariés à la ville, associés à la terre) y ont déjà pris part, mais pas cette fois. S’ils se gardent bien de commenter l’attitude de leurs collègues en colère, ces deux-là se tiennent à l’écart du mouvement. Pourtant, la sécheresse sans précédent qui sévit dans les Pyrénées-Orientales les prive de revenu depuis deux ans.

La cinquantaine juvénile, Pierre et Bérengère ne sont pas des héritiers. Dans les années 90, avant d’acheter leurs tout premiers hectares ils cultivent en maraîchage les friches mises gracieusement à leur disposition par des propriétaires terriens du voisinage. Au fil du temps, Pierre se lasse de produire des denrées trop rapidement périssables, de devoir vendre sans pouvoir agir sur les prix que contrôlent les intermédiaires. « Et puis, ajoute-t-il aujourd’hui, je ne voulais plus toucher aux intrants », aux produits phytosanitaires.

Une opportunité se présente quand on leur donne les semences d’un blé ancien, le Barbu du Roussillon. Ils font l’acquisition d’un petit moulin, les épis se muent en une farine que l’on peut stocker et vendre directement à quelques boulangers du département : c’est une économie en circuit court. Le foin, lui, est vendu aux éleveurs ovins et caprins des environs.

À présent confrontés à la sécheresse, ils plantent des arbustes entre les parcelles de cultures ; car l’ombre retient l’humidité. Ce travail d’agroforesterie est encouragé financièrement par la Région. Les époux associés saluent les aides d’où qu’elles viennent, celles de l’État, de l’Europe et de la Mutualité sociale agricole « toujours là pour nous soulager ». Cette année, les agriculteurs des Pyrénées-Orientales sont exonérés du paiement des taxes foncières.

« De notre côté, nous cherchons des solutions pour cultiver en ménageant le plus possible la ressource en eau » disent-ils. L’échange, entre eux, est permanent. Ils se cherchent du regard à tout moment, l’un guettant l’approbation de l’autre. On évoque la possibilité d’un petit maraîchage peu gourmand en arrosage sur de petites surfaces, on entretient l’espoir d’obtenir du foin avec des plantes « fortement racinées », c’est-à-dire capables de puiser l’eau en profondeur.

Aux yeux du néophyte, le domaine des ESPEJO est un beau et grand jardin d’une soixantaine d’hectares encadrés de filaos. Derrière ces arbres hauts apparaissent une géométrie de haies, des prairies de luzerne et de sainfoin, un carré d’amandiers et, à peine visibles au ras du sol, les pousses de blé, ce Barbu du Roussillon dont ils ne veulent surtout pas perdre la semence.

« Nous ne sommes pas des écolos rêveurs », se plaisent-ils à répéter. « Seulement, nous ne cherchons pas la rémunération à tout crin. La rémunération, on l’acquiert si on fait les choses proprement. Il faut tourner le dos à la politique du volume ».

Puis ils lèvent les yeux vers cette pluie qui ne vient pas en pensant à cette phrase de l’une de leurs amies : « Aujourd’hui encore, le ciel est d’un bleu inquiétant ».

Alain Le Gouguec