Quand Bernadette détrône Chirac

par Valérie Lecasble |  publié le 03/10/2023

Métamorphose. Passée de femme soumise à femme politique, le parcours de l’ex-première dame préfigure une forme de féminisme moderne

Catherine Deneuve dans le rôle de Bernadette, un film de Léa Domenach qui sort ce mercredi au cinéma - Photo Kare Productions / Collection ChristopheL via AFP

Printemps 1995, le 7 mai au soir. À la fenêtre de son QG électoral installé au 30 avenue d’Iéna dans le très chic seizième arrondissement à Paris, Jacques Chirac harangue la foule aux fenêtres de son bureau. Celui qui vient d’être élu Président de la République française vit son heure de gloire. À ses côtés, comme le veut la tradition, sa femme… et bien non ! L’homme qui a fait une campagne moderne sur « la fracture sociale » ne veut pas s’encombrer d’une image vieille France. Bernadette Chirac se voit éclipsée au profit de sa fille Claude, qui lui vole la vedette et sa place de première dame.

C’est encore elle, désormais en charge de l’image de son père, qui l’accompagnera lors de ses déplacements officiels ou prendra place aux déjeuners du Président avec les jeunes. Bernadette, elle, ronge son frein, mais s’exécute, obéissante et consentante, reléguée à l’organisation des réceptions à l’Élysée.

Tout cela fait-il un film ? Bernadette… quelle drôle d’idée ! Qui peut donc encore s’intéresser à la femme de Jacques Chirac, ex-première dame, figure ringarde et surannée qui a quitté l’Élysée depuis maintenant quinze ans ? Pour réussir à aiguiser la curiosité, il faut d’abord une réalisatrice avertie, Léa Domenach, fille de Nicolas, journaliste politique et petite-fille de Jean-Marie, résistant, militant, écrivain et directeur de la revue Esprit. Cette fois, c’est une femme qui reprend le flambeau familial. Moteur !

Tout commence par une chorale style catho qui chante à tue-tête dans le parc devant un Élysée en carton-pâte, le ton est donné. Une comédie ? Pas vraiment. La suite est la découverte sérieuse d’une époque via les yeux de Bernadette – née Chodron de Courcel – dans un milieu ultra tradi et conventionnel où une femme ne peut ni ne fait rien sans l’autorisation de son mari. Précisément, « Jacques Chirac », comme elle l’appelle, ne lui autorise rien, ne la considère pas, ne l’écoute pas, ne la voit pas. Sauf quand il exige sa présence pour ajuster son nœud de cravate ou aller lui acheter de nouvelles paires de chaussures.

Pauvre Bernadette ! Amoureuse et admirative de cet homme qu’elle a rencontré à l’âge de 17 ans et qu’elle ne quittera pas jusqu’à ce que lui s’en aille, après soixante-trois années de vie commune.

La date du 31 août 1997, oubliée de l’histoire, marquera pourtant la libération de l’esclave de l’Élysée. Ce jour-là, tout bascule. Sous le pont de l’Alma à Paris, la voiture de la princesse Diana s’écrase contre un poteau. Branle-bas de combat des autorités. Où est le président ? Il a passé la nuit dans les bras d’une célèbre actrice italienne et reste introuvable.

À quatre heures du matin, c’est Bernadette qui doit se rendre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. L’honneur est sauf, mais l’homme fort a failli. Pour Bernadette, c’en est trop, elle ne s’en laissera plus conter. Plutôt que de fuir, elle décide d’aller ferrailler sur le terrain du coupable d’adultère.

Aidée de son conseiller en communication, elle déclare son indépendance et se mue en une vraie femme politique. La voilà qui bat la campagne pour les élections municipales en Corrèze et invite le champion de judo David Douillet à l’accompagner dans ses opérations « « Pièces jaunes ».

On la découvre généreuse, intelligente et énergique. Elle grimpe vite dans les sondages. On se bat pour obtenir son soutien. Bernadette devient l’incontournable. Contre l’avis de son mari, elle adoube publiquement Nicolas Sarkozy en échange de sa promesse d’encourager l’abandon des poursuites judiciaires lancées à l’encontre de son mari, Jacques Chirac. Cette fois, c’est elle, redevenue première dame, qui prend en main le sort de président de mari…

Bernadette, celle que l’on n’attendait pas, est aux commandes. Et elle ne les cédera plus sans batailler à un époux rétrograde. Comme un avant-goût du féminisme actuel ?

Valérie Lecasble

Editorialiste politique